Précision sur l’engagement politique de André Suarès…

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Une amie, qui me dit aimer André Suarès, me dit le faire à contre-cœur en raison, prétend-elle, “de son engagement politique à droite” (sic). Outre qu’il n’était précisément pas “à droite”, je considère André Suarès comme l’un de nos plus grands écrivains français. Malraux dira : “Pour moi au lendemain de la guerre, les trois grands écrivains français, c’étaient Claudel, Gide et Suarès”. Moi, je mettrais évidemment un ordre différent : Suarès en premier, avant les autres et de très loin, Claudel ensuite, pourquoi pas, et Gide – éventuellement – mais pourquoi diable le mettre dans les trois premiers ? …

Le Voyage du Condottière de Suarès est un livre absolument fulgurant, totalement exceptionnel, d’une extraordinaire beauté. Pour moi, André Suarès est de toute évidence le plus grand de nos écrivains. Il est pourtant complètement méconnu en France ce qui est tout à fait normal puisque plus personne dans ce pays ne s’intéresse plus à la littérature. “Cette société se dissout chaque jour, disait Suarès. Elle s’enfonce davantage dans les vases de la niaiserie et les fossés de la violence. Elle a perdu le sens de la loi et de tout ce qui fait vivre. Elle se laisse mener par une tourbe de cyniques. Ce qui se donne pour l’élite de la nation n’en est que l’écume. Tous les rangs sont usurpés”. Je ne peux que vous encourager à lire le Voyage du Condottière… Mais si vous n’aimez ni l’Italie, ni Venise, ni Sienne, ni Florence, regardez plutôt la télévision !

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Quelques précisions sur l’engagement politique de Suarès

D’origine juive, André Suarès s’était engagé tout de suite en faveur du capitaine Dreyfus, découvrant le rôle déshonorant de l’état-major et du gouvernement. Inspiré par la violence des chroniques de Clémenceau dans l’Aurore, Suarès s’en prend avec hargne à Drumont, Barrès, à la Ligue de la Patrie. Il dénonce la forfaiture des généraux, les accusations non fondées de l’Eglise et devient l’avocat sulfureux de la République.

Dès le début des années 30, il se penche avec angoisse sur le phénomène de l’inexorable montée du nazisme. Il a soixante-deux ans quand les premiers autodafés allument en lui la flamme de l’indignation. Il monte alors en première ligne pour dénoncer la barbarie nazie. Dès 1934, à propos de Mein Kampf, Suarès écrit dans Vue sur l’Europe : “c’est un vomissement de sept cents pages, dix neuf mille lignes de haine, d’injures, de bave, un monument d’imposture et de bestialité, dans ce livre il y a tous les crimes de Hitler commis cette année et tous ceux qu’il pourra commettre encore”

Il a tout à perdre en s’exposant ainsi tandis que la plupart des consciences littéraires se taisent. Mais il prend tous les risques. par des chroniques d’une violence inouie, notamment dans le NRF, où Jean Paulhan l’a rappelé, il lance des anathèmes sans appel contre les dictateurs en donnant la mesure de l’odieux contenu de Mein Kampf “cette explosion de miasmes, ce délire démoniaque, ce livre de primats hideux, cet office d’extermination” (NRF 1934, puis Vues sur l’Europe, 1939).

Mais ses chroniques dérangent. On le traite de fanatique, de belliciste. Jean Schlumberger juge se écrits hystériques et obtient de la NRF qu’on mette un terme à ses articles antinazis et antifascistes qui font perdre des abonnés à la revue ! En 1935, il est écarté du quotidien Le Jour. Ulcéré, mais nullement résigné, il reprend ses imprécations dans Vendémiaire et Panurge où il prédit l’extermination des juifs (“Les Allemands se feront un chemin dans le massacre ; ils marcheront heureux sur un tapis de sang”.). Ces pages, et plus de trois cents autres, tout aussi véhémentes, sont destinées à former un livre, Vues sur l’Europe, à paraître chez Grasse en mars 1936. C’est alors que les troupes du Reich, violant les clauses du traité de Locarno et celui de Versailles, franchissent le Rhin et occupent la zone démilitarisée. Bernard Grasset jugeant le livre dangereux pour la paix, diffère sa sortie des presses et fait mettre les épreuves imprimées au pilon. Suarès proteste mais doit s’incliner tandis que la France se réfugie dans l’apathie et qu’Hitler prépare l’estocade.

Suarès continue inlassablement d’alerter l’opinion là où l’on veut encore de ses écrits : “Il y a des heures qui engagent des siècles ! Traitez avec ces assassins et si vous êtes assassinés traîtreusement, vous l’aurez mérité”. Visionnaire, il accuse, il accuse les gouvernement français de laxisme, condamne le désamement, la pacifisme de gauche comme les sympathies de la droite conservatrice qui “préfère Hitler au front populaire”. Vues sur l’Europe ne paraît qu’en mai 1939. Il est trop tard pour bousculer l’opinion. Jean Paulhan, directeur de la NRF, lui écrit : “Vos Vues sont l’honneur de la France et le nôtre”. Mais la marée noire submerge l’Autriche, la Tchécoslovaquie, accélère l’effondrement de la république espagnole; la Pologne est envahie et dépecée avec la participation active de l’Union soviétique.

Pris dans la tourmente de la guerre et de l’Occupation, poursuivi par la Gestapo puis par la Milice, Suarès doit s’enfuir de Paris. Il laisse derrière lui presque tous ses manuscrits et n’emporte que deux valises ainsi que deux dessins de Rembrandt légué par la comtesse Murat avant sa mort. L’exode interrompt ses travaux. Le Paraclet, bréviaire de l’homme qui veut échapper à l’oppression, ne sera jamais terminé. Suarès meurt le 7 septembre 1948.

Alors Muriel, par pitié, arrête de me dire que “Suarès est un homme de droite” ! C’est ridicule. Et totalement faux !

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Voir
le Condottière d’André Suarès
Suarès devant le conseil de révision des Armées …

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PS. Je sais plus où j’ai trouvé, à l’époque, le texte sur l’engagement politique de Suarès et prie donc celui dont j’ai fait un “copier/coller” de me le pardonner. C’était à usage interne à l’époque mais, maintenant que je le remets sur ce blog, je suis confus de na pas pouvoir citer la source.

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