J’avais abandonné ce pauvre blog en mai 2008 parce que la maladie d’Alzheimer de Maman était déjà trop lourde à porter. Je ne sais pas comment j’ai trouvé la force de continuer, mais j’aurai finalement tenu encore deux ans et deux mois de plus… Maman est partie hier matin et je suis désormais orphelin. Orphelin, inconsolable et exténué par ces dernières années épouvantables. Le Bon Dieu, finalement, aura eu pitié et elle sera heureusement partie détendue et apaisée. Le matin de sa mort, j’avais peur qu’elle soit triste ou crispée. Je l’ai trouvée souriante. Je ne savais pas que les morts souriaient : Maman, en tout cas, souriait…
Je vais essayer de recommencer à aller au Jardin du Luxembourg où je l’emmenais tout le temps quand elle pouvait encore se déplacer. J’irai voir les fleurs qu’elle aimait, les merles sur les belles pelouses, les canards dans le bassin, les poneys avec leurs bons yeux et les petits ânes qui promènent les enfants sur leur dos dans l’allée centrale… C’est ça qu’elle aimait. Elle avait un carnet d’adresses où elle gardait la liste de tous ses amis. Et à la lettre “A”, il y avait marqué “ânes”… Et elle avait écrit à la main tous leurs prénoms : Altesse, Aramis, Adriana, Athos, Rosette, Reinette, Mickey, Vulcain… C’est ce que je vais aller faire maintenant : aller au Jardin du Luxembourg et dire aux merles, aux petits ânes et aux grands rudbeckias jaunes qu’elle est partie.
Là, le vide est IMMENSE. A cause de cette merde de maladie d’Alzheimer, Maman avait évidemment pris une place démesurée dans ma vie. Dans le feu du combat, il est plus facile de tenir que lorsque le combat s’arrête. Tout à coup, je me retrouve seul au milieu d’un champ de bataille en ruines, et je découvre que c’est moi la ruine. Que c’est mon propre cerveau qui désormais est en ruine – dommage collatéral de la maladie d’Alzheimer. Des médecins m’avaient prévenu : ceux qui aident les malades d’Alzheimer partent souvent avant-même ceux qu’ils aident tant leur énergie s’épuise et tant leurs protections immunitaires s’amenuisent… Mais c’est le prix à payer pour les porter “de l’autre côté”, et les amener doucement sur l’autre rive…
Maman ne parlait plus depuis bien longtemps déjà, et elle ne pouvait presque plus bouger. Mais elle occupait la TOTALITÉ d’un espace IMMENSE, si immense qu’il touche au ciel et aux étoiles… Je n’arrive même pas à respirer tellement tout s’est rétréci en quelques heures. Larmes aux yeux et dans le coeur. Heureusement elle est partie comme elle a vécu : en souriant. Son dernier cadeau en partant…
J’irai dire aux petits moineaux de la cabane aux oiseaux du Luxembourg qu’elle est partie en souriant …
Et moi j’essayerai de tenir… Tenir quand tout s’arrête. Enfin quand je dis “tenir”, c’est pas si facile… Et puis si je ne tiens pas, who care ?
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De même que Maman énumérait les poneys, je ne voudrais pas oublier d’énumérer les prénoms de toutes les infirmières, aides-soignantes et aide-ménagère de l’AMSD qui, au cours des neuf derniers mois, auront été tellement exceptionnelles. Toutes plus gentilles, dévouées et affectueuses les unes que les autres. Et qui m’auront apporté une aide si immense et précieuse. Je me souviens de tellement d’après-midi joyeuses où leur venue était un véritable moment de paix et de joie pour Maman et pour moi. Depuis quelques jours, hélas, plus personne ne sonne à la porte et Maman est partie. Elles m’auront toutes aidé comme je n’imaginais pas qu’on puisse aider – avec tellement de gentillesse, de dévouement et de générosité. Au cours des dernières semaines, j’aurais vu, sur le plan humain, le contraste saisissant entre un dérisoire docteur en neurologie (le médecin traitant qu’on a fini par tous appeler le médecin “maltraitant“) et ce qu’elles ont assuré elles : une vraie présence quotidienne, affectueuse, attentive, irremplaçable, magnifique. La dignité de ce métier – et le professionnalisme – c’est elles (et pas lui qui a trahi ma confiance) qui l’auront incarné. Et elles l’auront incarné magnifiquement, de façon lumineuse pour moi. Jusqu’au bout, venant jusqu’au dernier soir et encore quelques heures avant sa mort (merci encore Florence) soigner et prendre soin de Maman en lui apportant de l’eau à boire en plaçant une perfusion que le médecin, dans sa lamentable indifférence, avait même oublié de prescrire (alors que je lui avais confié ce que j’avais de plus précieux). Merci à toutes pour ces mois de soins attentifs et affectueux. Vous m’aurez toutes apporté un immense réconfort. Je me rappelle les sourires extraordinaires que Maman vous faisait en vous voyant arriver les unes et les autres… C’étaient des moments de joie qui maintenant n’arriveront plus et qui me manquent terriblement : je ne vous entendrai plus sonner gentiment à la porte à 9h, 15h, 20h… Je voudrais vraiment ici pouvoir énumérer tous vos prénoms. Je les connais presque tous, mais je sais – tant ma fatigue est grande et ma tête ailleurs – que je vais en oublier beaucoup alors que la présence de chacune aura été une vraie bénédiction… Merci à toutes du fond du coeur. Vous aurez été magnifiques et étonnantes de gentillesse et de dévouement.
Céline, Florence, Anne-Marie, Nadia, Catherine, Marjorie, Yolande, Sadieux, Sabine, Nagette, Akima, Mina, Nicole, Adriana, Marie Alix, Marie-Jeanne, Patricia, Madina, Issévany, Laetitia, Sophie, Cinday, Adams, Déborath, Philippine, Caroline, Christophe… etc (oui, je suis terriblement fatigué et je sais que j’oublie forcément celles qui auront le plus aidé. J’espère qu’elles me pardonneront cet horrible “etc”)… C’est grâce à vous TOUTES que Maman sera partie en souriant. Merci !
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PS. LA MOITIÉ DE MON ÂME – Je ne pense pas que ce soi freudien ou que ce soit un complexe d’Oedipe malsain… C’est juste que Maman était sans doute ma meilleure amie, et surtout que je faisais tout avec elle parce que – à cause d’Alzheimer – elle ne pouvait plus rien faire toute seule. Je l’ai tellement secondée ces dernières années, et j’étais tellement habitué à être deuxième partout qu’il me semble maintenant que je n’existe plus qu’à moitié. Nous étions à moitié pour tout : livres, musique, promenades, musées, luxembourg. La dernière année, quand tout est devenu tellement difficile à cause de cette maladie de merde, j’ai du faire pour trois (Elle, alzheimer et moi). etc. Son départ m’a donc enlevé la moitié de mon âme et je ne suis plus vivant qu’à moitié. Et comme je ne peux pas m’empêcher de penser à elle tout le temps (livres, musique, luxembourg etc), je pleure tout le temps… Mais il faut bien tenir. Même quand tout s’arrête.
What a great photo, Eric
Just the best possible way to remember Madeleine.
Smiling, open, warm hearted.
As you say, reconnecting with the Luxembourg world of huge trees, childrens’ voices, donkeys with their individual names, the pond all seeped in so many memeories of conversations and steps crunching reassurungly in the gravel …. and that cabine aux oiseaux where you so often stopped off for a rest and lunch outside
A good place to be
And you may well find that you still feel her presence there because so many breaths and steps and pauses to look at things … were taken in the garden.
I know it’s silly but it really seems to me that people live on in certain places
Listen to the wind in the trees
J’ai pu aujourd’hui écouter le bruit des arbres ; près de Toulouse, le vent soufflait assez fort. L’automne est là malgré des températures plus que clémentes cette année. Les arbres refleurissent, ils deviennent fous eux aussi ne sachant plus où ils en sont.
J’espère que depuis ce jour de 2010, vous avez retrouvé une vie à part entière.
Alzeimer est une sacrée saleté surtout pour les proches. Une de mes amies (médecin) a vu partir successivement son père et sa mère atteints tous deux de cette maladie, elle m’a raconté ses angoisses.
Ce soir, en vous lisant, j’ai les yeux mouillés. Votre maman était une fort jolie femme, élégante. Vous avez des photos. Voilà que je pense que j’avais écrit un billet, il y a des mois, à propos de la difficulté de se laisser photographier (Photographies… un problème avec soi-même ? publié le 24/04/2011). Je déteste me voir.
Je vous écris de manière décousue mais quand on est dans l’affectif… Je pense au départ de ma mère, à celui de mon père… Les choses sont si différentes entre vous et moi. Je n’ai même pas la musique pour me soulager, ni même la foi, juste des livres pour m’évader.
Je vais continuer petit à petit à vous découvrir.
Je vous souhaite une bonne soirée et vous dis “à bientôt”.