Roland Barthes – Journal de deuil
le 5 novembre 1977
Après-midi triste. Brève course. Chez le pâtissier (futilité) j’achète un financier. Servant une cliente, la petite serveuse dit Voilà. C’était le mot que je disais en apportant quelque chose à maman quand je la soignais. Une fois, vers la fin, à demi inconsciente, elle répéta en écho Voilà (Je suis là, mot que nous nous sommes dit l’un à l’autre toute la vie). Ce mot de la serveuse me fait venir les larmes aux yeux. Je pleure longtemps (rentré dans l’appartement insonore).
Journal de deuil
le 18 août 1978
L’endroit de ma chambre où elle a été malade, où elle est morte et où j’habite maintenant, le mur contre lequel la tête de son lit s’appuyait j’y ai mis une icône – non par foi – et j’y mets toujours des fleurs sur une table. J’en viens à ne plus vouloir voyager pour que je puisse être là, pour que les fleurs n’y soient jamais fanées.
(Du 26 octobre 1977, lendemain de la mort de sa mère, jusqu’au 15 septembre 1979, Roland Barthes a tenu un journal de deuil, 330 fiches pour la plupart datées, et constituées en un ensemble publié pour la première fois sous le titre Journal de deuil aux Éditions du Seuil en 2009)