Voilà, je suis orphelin et inconsolable


J’avais abandonné ce pauvre blog en mai 2008 parce que la maladie d’Alzheimer de Maman était déjà trop lourde à porter. Je ne sais pas comment j’ai trouvé la force de continuer, mais j’aurai finalement tenu encore deux ans et deux mois de plus… Maman est partie hier matin et je suis désormais orphelin. Orphelin, inconsolable et exténué par ces dernières années épouvantables. Le Bon Dieu, finalement, aura eu pitié et elle sera heureusement partie détendue et apaisée. Le matin de sa mort, j’avais peur qu’elle soit triste ou crispée. Je l’ai trouvée souriante. Je ne savais pas que les morts souriaient : Maman, en tout cas, souriait…
Je vais essayer de recommencer à aller au Jardin du Luxembourg où je l’emmenais tout le temps quand elle pouvait encore se déplacer. J’irai voir les fleurs qu’elle aimait, les merles sur les belles pelouses, les canards dans le bassin, les poneys avec leurs bons yeux et les petits ânes qui promènent les enfants sur leur dos dans l’allée centrale… C’est ça qu’elle aimait. Elle avait un carnet d’adresses où elle gardait la liste de tous ses amis. Et à la lettre “A”, il y avait marqué “ânes”… Et elle avait écrit à la main tous leurs prénoms : Altesse, Aramis, Adriana, Athos, Rosette, Reinette, Mickey, Vulcain… C’est ce que je vais aller faire maintenant : aller au Jardin du Luxembourg et dire aux merles, aux petits ânes et aux grands rudbeckias jaunes qu’elle est partie.
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Testament (si je meurs…)

(version provisoire – Novembre 1996)
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Si je meurs…

Si je meurs, j’aimerais bien que ce soit en hiver
sous les flocons de neige d’un calendrier de l’Avent
Si je meurs, j’aimerais bien que ce soit en été
et qu’il y ait les abeilles et des lauriers roses
Si je meurs, j’aimerais bien que ce soit en automne
quand on fait de grands feux avec les feuilles de l’automne
Si je meurs, j’aimerais bien que ce soit au printemps
quand les merles chantent en sautillant sur le gazon
Si je meurs, j’aimerais bien que ce soit en sol mineur,
ou en ré majeur comme lorsque je jouais du luth
ou même en silence mais que les tierces et la lumière soient douces
Si je meurs, j’aimerais que ce soit en couleur
ou en noir, mais qu’il y ait des chiens à mon enterrement
et qu’ils s’amusent en se roulant dans l’herbe
Si je meurs, j’aimerais bien que ceux qui m’ont aimé ne s’en fasse pas trop
– je veux dire qu’ils ne soient pas triste, car je partirai joyeux
Si je meurs, j’aimerais qu’on me transforme en petite poudre –
fine et douce comme celle des sabliers ou de la plage de Sables d’or –
mais pourrait-on faire que ceux que j’aime
n’assistent pas au ronflement de l’incinérateur ?
je veux dire que tout celà puisse avoir été fait avant ?
Puis mes amis m’emmèneraient dans des petites enveloppes en papier
et – cela ne se fait sûrement pas mais tant pis pour la loi –
me sèmeraient sur une jolie pelouse du Luxembourg
quand les agents auront le dos tourné
Vers le coin des abeilles, et aussi dans la partie où les chiens sont admis
Si je meurs et que c’est au printemps,
on me mettra avec les pivoines.
Si c’est l’hiver, avec les pensées ou les chrysanthèmes.
En été avec les cosmos et en automne au pied des grands rudbeckias jaunes
Si je meurs et qu’il n’y a pas de fleurs, qu’au moins la terre soit belle.
S’il pleut, cela me fera plaisir car j’ai toujours bien aimé la pluie.
Et s’il fait beau, chacun saura que j’en suis très heureux.
Si je meurs – certains penseront que ça n’a pas vraiment d’importance
mais je serai heureux qu’il y ait des moineaux en bas,
et tout là haut des corneilles qui tournoient à la cîme grands platanes,
et aussi des feuilles qui tombent des vieux arbres
et si c’est en juin qu’on le dise aux oiseaux que j’aimais bien
et surtout aux merles qui ont été une véritable joie
Si je meurs, j’aimerais bien qu’on m’enterre très tôt le matin,
quand le ciel est à l’orient tout rose et bordé de bel azur limpide
Et si je meurs le soir, qu’on le dise aux étoiles qui préviendront les bouddhas
qui le diront à quelques bons lamas tibétains à qui je dis toute ma reconnaissance
Si je meurs on pourra finalement me mettre n’importe où
Pourvu que la lumière soit belle ou qu’il y ait de la neige,
et de la pluie, ou du vent ou bien rien de ce que j’avais prévu.
Mais s’il pouvait y avoir une petite cloche qui tinte dans le lointain
cela me ferait plaisir.
Le reste n’a guère d’importance.
Et si je pars plus tôt que prévu – on ne sait jamais –
Muriel, Marielle et Julia m’aideront peut-être ?
à prendre, pour Maman, les décisions que je ne pourrai plus prendre…
Merci à toutes les trois. Au moins je partirai rassuré …
Quant à la disposition de ces choses qu’on appelle les biens des hommes,
quoiqu’ils soient le plus souvent les embarras de l’âme (Pétrarque),
que dire ? mon luth à Xavier ; ma guitare à Kim, toute la collection Guillaume Budé à Franckie…

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Version provisoire – 22 novembre 1996

Le suicide de l’écureuil


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“L’écureuil – incarnation familière de la vitalité, souvent associé à l’enfance, à l’innocence – s’est suicidé… Située dans un univers de jouet, la scène n’en est que plus violente. L’artiste y juxtapose le drame du suicide et la légèreté enfantine, avec une touche comique. Et suggère la question : “Comment un écureuil a-t-il pu en arriver là ?”.

Bonne question !

La hantise des disparitions

Maurizio Cattelan, Bidididobidiboo, installation, 1996 ou “Comment un écureuil a-t-il pu en arriver là ?” (Télérama, n°2886 – Mercredi 4 mai 2005)

L’impatience de Stefan Zweig …

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1941
Le 15 août, Stefan Zweig s’embarque pour le Brésil et s’établit à Pétropolis où il espère encore trouver la paix de l’esprit
Il achève de rédiger son autobiographie, Le Monde d’hier, portrait de l’Europe d’avant 1914, qu’il dessine avec nostalgie

1942
Le 22 février, Stefan Zweig désespère de l’avenir du monde et rédige le message d’adieu suivant :

” Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec ma lucidité, j’éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m’a procuré, ainsi qu’à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j’ai appris à l’aimer davantage et nulle part ailleurs je n’aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l’Europe, s’est détruite elle-même.
Mais à soixante ans passés il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d’errance. Aussi, je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde.
Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux. “

Le lendemain, Stefan Zweig et son épouse s’empoisonnent ensemble : pour se soustraire à la vie sans brutalité …

Prière pour aller au paradis avec les ânes

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Prière pour aller au paradis avec les ânes de Françis Jammes

Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Françis Jammes et je vais au Paradis,
car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon-Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles…
Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête
doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds
d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l’on met des petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.
Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je vous vienne.
Faites que dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l’amour éternel.

Françis Jammes – Le Deuil des Primevères – Gallimard

Testament (de Pétrarque)

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Le Testament de Pétrarque (1303-1374)

“J’ai souvent réfléchi à ce à quoi personne ne songe trop et bien peu songent assez, je veux dire à la dernière heure et à la mort, pensée qui ne saurait être ni superflue ni prématurée, puisque la mort est certaine pour tous et que l’heure de la mort est incertaine.

Avant donc que la mort ne m’en empêche, car, outre qu’elle est toujours suspendue au-dessus de nos têtes à cause des accidents de tout genre, elle ne peut être éloignée à raison de la brièveté de la vie; maintenant que, par la grâce de Dieu, je suis sain de corps et d’esprit, je crois utile et convenable de disposer par testament de ma personne et de mes biens.

Quoique, à dire vrai, mes biens soient si peu nombreux et d’une si petite valeur que j’ai honte en quelque sorte d’en faire l’objet d’un testament. Mais riches et pauvres ont les mêmes soucis, bien que sur des choses inégales. Je veux donc régler mes dernières volontés et les consigner par écrit, par un sentiment de bienséance, et surtout pour éviter qu’après ma mort, par suite de ma négligeance, on ne fasse un procès sur mes prétendus biens. … Continue reading

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