“Solitude, ma mère, redites-moi ma vie !”

“Solitude, ma mère, redites-moi ma vie ! Voici

Le mur sans crucifix et la table et le livre

Fermé ! Si l’impossible attendu si longtemps

Frappait à la fenêtre, comme le rouge-gorge au coeur gelé,
Qui donc se lèverait ici pour lui ouvrir ? Appel

Du chasseur attardé dans les marais livides

Le dernier cri de la jeunesse faiblit et meurt la chute d’une seule feuille

Remplit d’effroi le coeur muet de la forêt.
Qu’es-tu donc, triste coeur ? une chambre assoupie

Où, les coudes sur le livre fermé, le fils prodigue

Écoute sonner la vieille mouche bleue de l’enfance ?

Ou un miroir qui se souvient ? ou un tombeau que le voleur a réveillé ?
Lointains heureux portés par le soupir du soir, nuages d’or,

Beaux navires chargés de manne par les anges ! est-ce vrai

Que tous, tous vous avez cessé de m’aimer, que jamais,

Jamais je ne vous verrai plus à travers le cristal
De l’enfance ? que vos couleurs, vos voix et mon amour,

Que tout cela fut moins que l’éclair de la guêpe

Dans le vent, que le son de la larme tombée sur le cercueil,

Un pur mensonge, un battement de mon coeur entendu en rêve ?
Seul devant les glaciers muets de la vieillesse ! seul

Avec l’écho d’un nom ! et la peur du jour et la peur de la nuit

Comme deux soeurs réconciliées dans le malheur

Debout sur le pont du sommeil se font signe, se font signe !
Et comme au fond du lac obscur la pauvre pierre

Des mains d’un bel enfant cruel jadis tombée :

Ainsi repose au plus triste du coeur,

Dans le limon dormant du souvenir, le lourd amour”.

Oscar Vladislas de Lubicz Milosz (1877-1939)

Le canari de Milosz
Le canari de Kazantzaki