Quand j’étais plus jeune, pendant que mes amis de ScPo militaient à droite ou à gauche, j’écoutais les canons de l’Offrande musicale ou les variations Goldberg. Ils parlaient du Ché, de Mao, de Lénine et d’autres abrutis, pendant que je faisais de l’immersion dans les cantates de Bach ou les contrepoints de l’Art de la fugue. Cela a duré des décennies : ils continuent à blablater sur Obama et Ségolène et à s’échauffer sur Hillary ou Sarko et moi je continue à être submergé par Palestrina, de Lassus, Josquin des Prés et subjugué par les sonates de Haydn ou les Lamentations de Thomas Tallis… C’est plus fort que moi, je n’ai jamais pu me trouver un “engagement” – en tout cas une cause qui m’emporte l’âme et fasse bondir mon coeur. Selon leurs critères, j’ai donc plutôt tout raté (selon les miens aussi d’ailleurs car le bilan de faillite est total : professionnel, affectif, existentiel…). En tombant récemment sur ces deux affiches de ce vieux film de James Dean, j’ai compris que tout s’était précisément joué entre le titre original et sa traduction française (totalement absude by the way).

La fureur de vivre, c’est exactement ce que j’avais en moi : signe du lion, prêt à bondir et à rugir, je suis une boule d’énergie prête à renverser les montagnes. Mais pour déployer tout ça, il faut une “cause” – j’entends une cause digne de ce nom et pas un petit gagne pain minable. Et cette cause, je ne l’ai jamais trouvée (Mao, Lénine et les autres, non merci ; le coup du grand soir on ne me le fait plus et j’ai assez peu d’estime pour les petites ambitions des bureaucrates que je vois autour de moi. Donc je suis exactement comme le titre de la version originale du film : un “rebel without a cause”, un rebelle sans raison de se battre… C’est ce qui m’a toujours cruellement manqué et m’a toujours immobilisé quand les autres partaient poing levé en chantant l’internationale ou autres niaiseries : une vraie raison de me battre qui soit à la hauteur de la Messe en si ou de la Création de Haydn !
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PS. En réfléchissant, je pense que mes lectures (Lao Tseu, le Tao-tö-king, le wou-wei etc… ) n’ont pas non plus vraiment favorisé un quelconque “engagement”. D’où l’on pourrait conclure que la lecture et la musique sont des antidotes à l’action militante ? Sans doute. Il suffit d’ailleurs de voir l’inculture abyssale de nos dirigeants politiques (dans le monde entier) pour comprendre qu’il y a quelque chose qui cloche dans la gestion des affaires par des incultes. Mais bon, il faudrait revenir à Socrate et je pense qu’ils ne savent même pas qui c’est puisqu’il n’est pas sur la couverture de Gala et qu’il ne fera jamais la une des magazines people ! Triste époque.
PS.2. Pour s’engager, dans quoi que ce soit, il faut aussi y croire. Y croire vraiment. Cioran (dans des Cahiers, 1957-1972) dit quelque chose comme ça : “Pour mener à bien une œuvre, pour la commencer même, il faut y croire. Ce qui est mort en moi, c’est la foi, l’état de foi, l’acte d’adhésion initial faute duquel rien ne peut démarrer”.
C’est ça en fait, je n’y crois plus vraiment…
– Se battre pour des saucisses grasses ? Non merci !
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