“Je me souviens….” de mon immense fatigue à l’époque…

La semaine dernière, avec Odile, on relisait des “Je me souviens…” de Georges Perec. Beaucoup de souvenirs radieuxsont remontés à la surface. Des souvenirs de clairs jours de ma vie… Hier — sans doute parce que j’avais mal dormi à cause du mistral qui, ici, fait tomber les branches et claquer les volets — je me suis réveillé complètement épuisé. Et, comme “je me souviens”… j’ai repensé à l’époque où j’étais littéralement mort de fatigue à cause de la maladie d’Alzheimer de Maman… Je me suis souvenu d’un jour où, totalement épuisé, je m’étais m’allongé un moment sur l’herbe au pied du Dôme des Invalides, la tête entre les pâquerettes, le ciel bleu à la verticale de mes soucis, ne pensant plus à rien…

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Mais quel rapport y a t-il entre la guerre au Mali et la maladie d’Alzheimer ?

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Ce n’est pas parce qu’elle ne fait plus la une des journaux que la guerre au Mali est terminée. Pour entrer en guerre, une décision Présidentielle suffit. C’était l’opération Serval, lançée le 11 janvier, qui a permis à François Hollande d’être accueilli en héros à Tombouctou le 2 février 2013. Mais pour prolonger l’intervention au-delà de 4 mois, il faut faire voter le Parlement (ce qui a été fait le 22 avril dernier : pas un parlementaire ne s’y est opposé). Très bien : on lance la guerre, on la prolonge mais on ne nous dit pas quand on l’arrête vraiment. Mais, naturellement, il faut la payer (alors qu’on n’a plus de sous et que la loi de programmation militaire va, dans les jours qui viennent, mettre les armées au régime sec).

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L’IRM cervicale a fait d’immenses progrès

[Ce post est un vieux post de 2007 mais comme je parlais de cet ANGE hier à Sabrina, je le remonte ici juste pour lui montrer la photo. Mais ça date d’il y a six ans : mon cerveau est pire aujourd’hui :-]
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L’imagerie par résonance magnétique (IRM) a fait d’immense progrès au cours des dernières années. Grâce à une résolution spatiale et temporelle extraordinaire, elle révèle maintenant les moindres détails du fonctionnement du cerveau. La vue du mien est édifiante de précision (voir photo ci-dessous). Pratiquement plus de zones activées, plus de mouvement, des gravats… Heureusement il y a un ange là-haut … Peut-être va-t-il finir par faire quelque chose ?

dresden1945_2.jpg
Mon cerveau en 2008 après Alzheimer ou Dresde après les bombardements de février 1945 : c’est pareil !

L’ange de l’histoire de Klee
Liste des villes à protéger
Les journées avec Alzheimer
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D’autres anges…
J’aime bien ces anges…
j’aime tellement cette Annonciation…
L’ange voleur d’étoiles,
Sûrement j’exagère
Wer wenn ich schreiee
L’ange des ruines de Dresden…
J’aimerais bien que Dieu m’accorde 3 secondes !
Pourquoi Fra Angélico a t-il peint ce trou ?
Des ailes (d’ange?) pour planer au-dessus de la mort …

Travailler ses états d’âme ? Fastoche :-)

smiley_anim2 Travailler ses états d’âme. Fastoche : il suffit de trouver les mots qui correspondent à ses états d’âme et d’essayer tous les jours un mot différent. Par exemple, le lundi, on se lève et on essaye d’être joyeux. Le mardi, d’être paisible. Le mercredi serein. Le jeudi imperturbable. Le vendredi impassible. Le samedi guilleret. Le dimanche pacifié. Et puis le lundi d’après on essaye d’être inspiré, le mardi placide; le mercredi enjoué, le jeudi chaleureux, le vendredi rieur; le samedi enthousiaste et le dimanche reconnaissant… Et on continue au fil des semaines…

Première liste : joyeux, gai, content, radieux, rayonnant, de belle humeur, jovial, en fête, en liesse, allégre, gaillard, réjoui, folâtre, badin, enjoué, enchanté, ravi, drôle, plaisant, satisfait, rieur, guilleret, facétieux, folichon, enjoué, plaisant, amusé, réjoui, calme, tranquille, doux, paisible, serein, placide, imperturbable, impassible, flegmatique, indifférent, sans-souci, insouciant, pacifié, inspiré, mystique, illuminé, ivre, emporté, transporté, ravi, extatique, lyrique, épique, ardent, chaleureux, enflammé, fanatique, enthousiaste

Deuxième liste : morne, morose, désolé, navré, abattu, accablé, affligé, peiné, affecté, attristé, soucieux, aigri, maussade, lugubre, préoccupé, mélancolique, pessimiste, trouble-fête, rabat-joie, désanchanté, mélodramatique, tragique, funèbre, lugubre, lamentable, poignant, déchirant, pénible, maussade, crève-cœur, mélancolique…

Le tout est évidemment de piocher dans la bonne liste : ceux qui me connaissent savent que, parfois, je me trompe de pioche, surtout en ce moment.
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Jusqu’ici tout va bien

Voilà, je suis orphelin et inconsolable


J’avais abandonné ce pauvre blog en mai 2008 parce que la maladie d’Alzheimer de Maman était déjà trop lourde à porter. Je ne sais pas comment j’ai trouvé la force de continuer, mais j’aurai finalement tenu encore deux ans et deux mois de plus… Maman est partie hier matin et je suis désormais orphelin. Orphelin, inconsolable et exténué par ces dernières années épouvantables. Le Bon Dieu, finalement, aura eu pitié et elle sera heureusement partie détendue et apaisée. Le matin de sa mort, j’avais peur qu’elle soit triste ou crispée. Je l’ai trouvée souriante. Je ne savais pas que les morts souriaient : Maman, en tout cas, souriait…
Je vais essayer de recommencer à aller au Jardin du Luxembourg où je l’emmenais tout le temps quand elle pouvait encore se déplacer. J’irai voir les fleurs qu’elle aimait, les merles sur les belles pelouses, les canards dans le bassin, les poneys avec leurs bons yeux et les petits ânes qui promènent les enfants sur leur dos dans l’allée centrale… C’est ça qu’elle aimait. Elle avait un carnet d’adresses où elle gardait la liste de tous ses amis. Et à la lettre “A”, il y avait marqué “ânes”… Et elle avait écrit à la main tous leurs prénoms : Altesse, Aramis, Adriana, Athos, Rosette, Reinette, Mickey, Vulcain… C’est ce que je vais aller faire maintenant : aller au Jardin du Luxembourg et dire aux merles, aux petits ânes et aux grands rudbeckias jaunes qu’elle est partie.
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“L’essentiel est invisible pour les yeux…”

Entre ce post et le précédent, plus de deux ans se seront écoulés

Je reviens juste quelques secondes sur ce blog (commencé en juin 2003 et abandonné en mai 2008) et je repars aussitôt. Mais je voulais juste dire encore une dernière chose simple qui servira peut-être à ceux qu’Alzheimer frappera un jour ; eux ou leurs proches. Dans la vie, les choses essentielles sont invisibles. Certaines maladies aussi. Donc si vous vous cassez la jambe au ski et qu’on vous met un beau plâtre et des béquilles, les gens vous plaindront et vous aideront à traverser la rue parce qu’ils VOIENT les conséquences de l’accident. C’est pourtant un accident banal, minuscule, mais à visibilité surlignée et (à cause des béquilles et du plâtre) à compassion amplifiée. Les gens adorent la grande déploration sur le dérisoire. Mais si c’est surper grave mais que c’est dans le cerveau, personne ne voit rien parce qu’il n’y a rien à voir précisément (sauf, à l’hôpital, l’hypocampe vu en imagerie par résonance magnétique). Et donc on a : invisible = indifférence (ou “circulez, il n’y a rien à voir” !). Et non seulement il n’y a rien à voir mais en plus les gens vous assènent des phrases du genre : “tu sais j’ai trouvé ta mère vraiment très bien…” (évidemment la maladie d’alzheimer ne fait pas pousser des cornes ni surgir d’énormes boutons verts sur les joues). Tout ça pour dire que l’indifférence des gens (en plus de l’égoïsme qui est encore une autre histoire) vient souvent de cette invisibilité ou de cette incapacité à voir ce qui est invisible… J’ai beaucoup expérimenté cette situation et voulais donc la noter ici pour qu’elle serve peut-être un jour à d’autres. Quand un aveugle arrive avec sa canne blanche, Continue reading

Mon autoportrait en petit singe enchaîné…

Quand c’est l’hiver et que la nuit tombe tôt, il est évidemment plus facile d’être enfermé que lorsqu’il y a du soleil et que les gens sirotent des menthes à l’eau à la terrasse des cafés… Mais bon, c’est comme ça et je me console d’être un petit singe enchaîné en regardant la belle huile sur panneau de chêne de Pieter Bruegel l’Ancien. On a les autoportraits qu’on mérite disait ma grand-mère.

A force d’être bloqué à l’intérieur à cause d’Alzheimer, je pense d’ailleurs très souvent à ce que Glenn Gould disait de l’enfermement qu’il considérait comme un test de sa propre mobilité intérieure.

Je n’ai jamais bien compris ce souci de la liberté tel qu’on l’entend dans le monde occidental” disait-il. “Pour autant que je le sache, la liberté de se déplacer est généralement liée à la mobilité ; et la liberté d’expression le plus souvent à l’agression verbale socialement tolérée. Ainsi, être incarcéré serait le test parfait de sa propre mobilité spirituelle et de la force qui nous permettrait de choisir une option créative pour échapper à la condition humaine”. 


“I’ve never understood the preoccupation with freedom as it’s reckoned in the Western world. So far as I can see, freedom of movement usually has to do with mobility, and freedom of speech most frequently with socially sanctioned verbal agression, and to be incarcerated would be the perfect test of one’s inner mobility and of the strength which would enable one to opt creatively out of the human situation”

Bon, c’est à la fois du Glenn Gould (toujours un peu tiré par les cheveux) et une traduction (merci à Suzan by the way) et donc c’est au total un peu compliqué. Mais, pour avoir testé l’enfermement avec Alzheimer, je crois pouvoir affirmer que c’est assez juste comme test de sa propre mobilité intérieure…

La taille de mon univers
Un surplace de plus en plus immobile…
Immobilité et méditation…
J’aurais l’air de quoi si j’étais un oiseau ?

Pieter Bruegel le Vieux,
Les deux singes enchaînés
Huile sur chêne, 20 x 23 cm
Staatliche Museum, Berlin

Allez, ouste, dehors les vieux ! vous gênez !


© Bill Traylor

C’est marrant comme à propos d’Alzheimer les gens ne peuvent pas s’empêcher de répéter inlassablement la même phrase quand ils vous rencontrent : “Mais tu devrais te renseigner tu sais, il y a des maisons pour ça non ?”, de la même façon qu’ils vous diraient que vous pouvez accrocher votre chien à un platane sur l’autoroute pour vous en débarrasser quand vous partez en vacances au mois de juillet… (eux qui ne laisseraient pas leur chien ou leur chat une seule nuit chez le vétérinaire !). Pour les vieux atteint d’Alzheimer, pas de problème : y a qu’à s’en débarrasser ou les mettre à l’asile ! (Oops non, pardon, ils ne disent pas “s’en débarrasser” mais “placer dans une maison”… (ça fait plus magique). Ils n’ont jamais mis les pieds dans ces maisons, mais ils vous assurent tout de même que c’est très bien (avec des fleurs et des gens “très compétents” tu sais…). Mais le problème ce n’est PAS que ce soit bien ou pas bien (évidemment que c’est très bien), c’est la déchirante rupture de la personne malade avec tout ce qu’elle a aimé pendant des décennies : ses habitudes, ses meubles, ses affaires, les milliers de petits détails de la vie courante, la vie quotidienne, la vie tout court en fait ! Elle a déjà TOUT perdu (tous les souvenirs, tous les mots,…) et il faudrait encore lui arracher ses ultimes repères matériels ? Donc je ne dis pas que je ne serai pas obligé de le faire (même assez vite maintenant). Mais j’aurais au moins essayé de tenir. Pour retarder le plus longtemps possible : pour que la rupture terrible et définitive se fasse le plus inconsciemment, le plus doucement, le plus insensiblement possible… Si je les avais écoutés, il y a déjà quatre ans qu’elle serait “placée” … Quatre ans… Allez ouste les vieux, dehors, vous êtes gênants !

Outrenoir… au-delà du noir…. de l’autre côté du noir…

Hier soir, dans un documentaire sur Arte, Pierre Soulages disait ceci :

Enfant, je devais avoir quatre ou cinq ans, je me tenais contre le parapet du pont et il y avait des trains à vapeur qui manoeuvraient dessous dans un énorme panache de fumée noire qui obscurcissait tout le paysage. On ne voyait plus rien ; on était dans la fumée noire. Et progressivement la fumée s’en allait et les formes réapparaissaient et j’aimais beaucoup ça”.

Ce noir et cette suie des locomotives n’a strictement rien à voir avec le magnifique “outrenoir” de Soulages (qui désigne évidemment un tout autre champ mental que celui qui est atteint par la seule couleur noire)… mais je me demandais, en l’écoutant parler de cette fumée noire, ce que je verrai du paysage de ma vie quand l’énorme crasse noire que dépose Alzheimer® sur mon âme aura progressivement disparu… Qu’y aura-t-il outrenoir ? Qu’y aura t-il après le noir ?

Attention respect
L’outrenoir de Soulages
Des croquis inédits de Soulages
Youpi j’ai des lunettes faites par Soulages

Artsy’s Pierre Soulages page

Alzheimer peint tout en noir dans ma vie comme dans la chanson de Bob Dylan…

Apprendre à dézoomer vite fait …

Il faut très rapidement que j’apprenne à dézoomer. Ceux qui me connaissent un peu savent que j’aime bien faire exactement l’inverse : agrandir les toiles des Musées avec une loupe à 200% ; ou agrandir les cartes comme un malade avec Google Maps… Mais ces derniers temps, c’est Alzheimer qui a zoomé un peu trop fort dans mon cerveau : il a tout peint en noir et agrandi la tache à 200%. Brrrrr, fait beaucoup trop sombre là dedans maintenant : faut que je dézoome rapidement pour retrouver un peu de blanc et de calme intérieur… Le seul problème avec Alzheimer, c’est qu’il ne vous laisse pas prendre du recul : ce serait trop beau… Et le yin yang il s’en moque comme de sa première chemise ! Bon, enfin bref, ce que je voulais dire c’est que j’allais peut-être essayer, ces prochains temps, de prendre un peu de…. recul. Sur ma vie. Et peut-être aussi sur ce blog… Dézoomer quoi ! Et sans doute l’abandonner. Arrêter d’écrire. Plus rien à dire n’importe comment. La vie est trop dure.

Agrandir à 200%
Agrandir avec Google Maps
Alzheimer peint tout en noir
Mon cerveau ou Dresde après le bombardement : pareil
Les journées avec Alzheimer

“Ma mère avant la justice” – évidemment !

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Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.”

Oui, je sais, Albert Camus disait cela à propos de l’Algérie :

“J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément dans les rues d’Alger par exemple, et qui peut un jour frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.”

J’ai relu aujourd’hui cette phrase célèbre (qui lui a été reprochée par des ânes) et je la trouve magnifique. Je ferai aussi passer ma mère avant la justice. Evidemment ! Et avant pas mal d’autres choses qu’Alzheimer a malheureusement déjà pulvérisées (santé, vie professionnelle, vie tout court…).

La mère de Stefan Zweig

Le vieil arbre du Luxembourg en soins palliatifs


Hier, comme tous les samedis depuis des siècles, je vais au Luxembourg me ballader. Ecouter les oiseaux, voir où en sont les fleurs et les plantations, regarder les enfants jouer et les canards barboter dans le grand bassin, dire bonjour aux abeilles, passer vers les boulistes et les joueurs d’échecs. Et parfois discuter avec Vincent quand il va promener sur ses épaules sa petite fille aux beaux yeux bleus… Chaque fois, avant de partir par la rue Férou, je vais rendre visite à ce vieil arbre que j’aime bien et qui me fait penser à ma lutte contre Alzheimer. Le tuteur en bois, sur la gauche, c’est moi … Jusqu’à présent l’arbre a tenu. Quand ce blog s’arrêtera, on saura si le tuteur a tenu.

PS. Merci en tout cas aux jardiniers du Luxembourg. Contrairement à d’autres, ils font honneur à leur profession

Quelques autres arbres…
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L’histoire des deux petites souris

À propos de ce que je fais pour ma mère qui souffre de la maladie d’Alzheimer, je pense souvent à l’histoire de deux souris qui tombent dans une bouteille de lait.
• La première se décourage assez rapidement car on lui répète inlassablement qu’il n’y a pas d’issue, qu’il est inutile de lutter et qu’il faut donc abandonner le combat. Bref, se débarrasser du fardeau. Sinon c’est la garantie de couler et de se noyer.
• La seconde, au contraire, décide de lutter jusqu’au bout. Elle n’est pas stupide et voit bien qu’il n’y a pas de solution et que son combat est perdu d’avance, mais elle décide de se battre. Elle continue à nager toute la nuit et, au matin, la crème battue s’est transformée en beurre et elle arrive à sortir du pot. Elle est sauvée…. Continue reading

Mensonges par omission

S’il n’y avait pas la saucisse dans le hot dog (si je l’avais effacée dans Photoshop par exemple), vous le verriez tout de suite. Et vous diriez : “tiens, c’est bizarre, il n’y a pas de saucisse dans le hot dog”. Et on s’embarquerait dans une discussion sur la partie de droite, vulgaire (la saucisse) qui empêcherait de parler du sujet de gauche, poudré et raffiné : “mais pourquoi diable cette belle élégante du XVIIe siècle fait elle de la pub pour une marque de bière alsacienne ?” –

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Après plusieurs années d’alzheimer, j’ai compris qu’il ne faut surtout pas parler d’alzheimer : ce n’est pas un sujet poudré et élégant. Les gens n’aiment pas les détails parce que ça les ferait descendre aux Enfers et c’est mal éclairé et ça ne sent pas très bon. Dans un blog c’est pareil : il faut uniquement parler de la partie amusante, enjouée, poudrée et élégante, – psychologiquement admissible – de ce qui peux se dire sur la maladie d’alzheimer et ses terribles effets collatéraux. Dire la vérité vraie serait trop lourd – pour moi comme pour les lecteurs qui seraient choqués, baisseraient la tête, fermeraient les yeux et se boucheraient les oreilles : les gens n’aiment pas entendre les choses difficiles à avaler. Ils veulent que ce soit fun. Donc je mens inlassablement dans ce blog – par omission. Je parle “d’alzheimer” bien sûr – je prononce le mot – souvent – mais je n’aborde guère ce que les médecins appellent la “démence sénile”… Pour tout le monde, Alzheimer c’est simplement la perte de la mémoire ou ce qu’on leur montre à la télé dans des émissions grand public : des vieux sympathiques assis sur des fauteuils qu’on distrait avec des cubes ou de la pâte à modeler… Mais la partie cachée de la maladie, tous les effets collatéraux sur l’entourage (by the way l’entourage c’est moi tout seul), faut pas en parler, les gens n’aiment pas les voir. C’est pas drôle, pas poudré ni raffiné.
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Et si je cassais carrément les aiguilles ?

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Dans la course à la montre contre Alzheimer, c’est évidemment Alzheimer qui va gagner. C’est une course terrible où, avec chaque jour qui passe, le temps devient de plus en plus court, de plus en plus serré, de plus en plus stressant. Du coup je repense souvent au temps où j’avais le TEMPS de profiter de la vie, au temps où la vie s’écoulait lentement… Au temps où j’étais heureux en fait.

À Sienne, dans cette sublime petite ville italienne où j’aimais tant aller, il y a sur l’inoubliable Piazza del Campo, l’imposante Torre de la Mangia. Et, à mi-hauteur, une horloge qui a la particularité rare de ne pas avoir d’aiguille pour les minutes. Juste celle des heures, qui ne bouge donc pratiquement pas. Le temps sans les minutes s’écoule lentement et vous donne le temps de vivre : on se lève le matin pour prendre un premier café à un bout de la place ovale, le soleil est doux et doré comme un croissant; dès qu’il tourne, on change de café pour suivre ses rayons et on prend un autre capuccino. Vers l’heure de l’apéritif…
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Tenir ! Facile à dire !

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Vu ce qui s’est passé ces derniers jours, le sale dragon Alzheimer ne me laissera sans doute pas le temps d’arriver sain et sauf sur l’autre rive …

Arriver sur l’autre rive… (déjà en 2004…)
Dans les pattes du destin…
Ma chute d’Icare
Ecrabouiller le Mal ? Jubilatoire !


Hans Memling (c. 1440-1494)
Détail d’une huile sur panneau de chêne 1474-79
Memlingmuseum, Sint-Janshospitaal, Bruges

En ce moment tout part en charpie

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C’est bizarre, en ce moment tout se déglingue à toute vitesse… Alzheimer et maman je n’en parle même pas. Mais mes chemises, mes chaussures, mon cerveau, mes nerfs, ma patience, ma santé : tout est usé, fusé, troué et tombe en charpie. Ma vie elle aussi tombe en quenouille. Il doit y avoir des moments comme ça dans une existence où tout arrive au bout du bout. Ma chemise verte, j’aurais peut-être encore pu la garder quelque temps. Mais mon cerveau et mes nerfs sont usés jusqu’à la corde et sont en train de craquer. Je tombe en miettes et serai bientôt bon à jeter aux moineaux. Alzheimer, c’est vraiment une maladie de merde !

Mesurer sa vie en matins…

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Alzheimer ne pulvérise pas seulement la mémoire mais le temps aussi ; le temps et sa mesure qui fait que j’ai du vieillir de dix ans ces deux dernières années et que je n’ai plus jamais eu les longues plages de temps que j’avais auparavant pour faire ce que je faisais et qui était tout simplement … ma vie.

Dans un entretien, Balthus parle quelque part du temps et de sa mesure. Il dit qu’autrefois on mesurait les prés en matins. Un matin c’était la surface de pré que pouvait couvrir un homme avec sa faux en une matinée.

Je trouve cette expression tout simplement magnifique et sans doute suis-je un faucheur de ces époques révolues où le temps s’écoulait lentement au clocher des villages. Je rêve, le champ fauché, de pouvoir m’allonger sur le dos un jour d’été, avec de la paille dans les cheveux, écoutant le crissement des sauterelles dans l’herbe jaunie ; attendant avec les autres moissonneurs transpirant sous le soleil de midi que les femmes du village voisin nous apportent pour le repas les énormes miches de pain et la soupe de lard… Comme disait ma grand-mère : on a les rêves qu’on mérite.

Parlez des foins me fait toujours penser à cette belle phrase de Claude Roy… Et aussi ce magnifique texte de C.F. Ramuz sur “Ces hommes qu’on ne peut pas ne pas entendre”……

Vichnou et la lenteur

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Quelques bouts de nostalgie
Nostalgie des coquelicots et du sourire de la petite boulangère
Nostalgie des temps heureux
Remonter le temps en rentrant dans les tableaux
Nostalgie des petits villages
Quand les caractères s’incrustaient dans le papier

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Pouvoir poser sa tête, juste un moment …

christ_jean.jpg Pour ceux qui ne le savent pas, je leur dis: la maladie d’Alzheimer est une vraie merde. Il y a ce qu’on lit dans les revues (ou plutôt ce qu’on ne lit pas parce que si on savait vraiment ce qui va arriver on ne se lèverait même plus le matin), ce que les gens vous montrent à la télé (qui n’est pas la vraie vie) et ce que vous disent la famille ou les amis (qui ne peuvent pas s’empêcher de répéter inlassablement la même phrase quand ils vous rencontrent : “Mais tu devrais te renseigner tu sais, il y a des maisons pour ça non ?”) de la même façon qu’ils vous diraient que vous pouvez accrocher votre chien à un platane sur l’autoroute pour vous en débarrasser quand vous partez en vacances l’été)… Et puis il y a la vie quotidienne et là je ne vous raconte même pas tellement c’est triste et dur et inimaginable. Sans parler de l’exil intérieur qui vous coupe du monde… Si je n’avais pas lu cent fois Les Cent Mille Chants de Milarépa dans ma vie, je n’aurais jamais tenu. Le pire c’est de ne pas avoir eu une seconde pour reposer sa tête. Juste souffler cinq minute. Arrêter de s’occuper de la personne qui est malade et pouvoir juste poser sa tête un moment… Juste la poser ; juste un moment. J’y pense en regardant cette belle carte que vient de nous envoyer Anne pour Noël représentant le Christ et Saint-Jean (XIVe siècle, couvent Saint-Martin, Hermetschwil). J’ai l’impression que ma fatigue date aussi du… XIVe siècle !

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Mort de fatigue
Et autres petits bouts d’Alzheimer …
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Des ultra-rayonnements de détresse qu’entendent les anges

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Rembrandt, Autoportrait, 1630, eau-forte et burin, 51 x 46 cm, détail (Amsterdam).

J’ai regardé pendant un long moment ces yeux étonnants et pensé à cette phrase de René Char (Feuillets d’Hypnos, 1943-1944) :

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Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri

Mais qui serait à même d’entendre ce cri ? Seuls les anges du ciel sans doute… Mais pour l’instant, ils ont beaucoup trop à faire sur la bordure de la galaxie… Comment leur en vouloir de ne pas toujours être à notre écoute ?

Rilke parle de cette détresse dans sa Correspondance :
guillemets_noirs-TNR

Enfin, il y a sûrement un degré de détresse qu’entendent les anges, des ultra-rayonnements de détresse que les humains ne perçoivent pas, qui traversent leur monde épais et ne peuvent faire retentir qu’au-delà, dans la lumière d’un ange, un violet sourd, douloureux, comme l’améthyste dans sa géode.

 

la détresse que seuls quelques anges pourraient entendre

La mystérieuse sandale d’Empédocle

Quand le froid vous gèle les os et que l’âme se glace à cause d’Alzheimer, je me dis parfois que Empédocle avait sans doute raison de vouloir s’approcher (un peu trop près) de l’Etna… On a besoin d’un peu de chaleur parfois.


La sandale d’Empédocle

Empédocle (Wikipedia)
Hölderlin – La mort d’Empédocle

Alzheimer fait les choses “à la perfection” !

alzh_porte.jpg

C’est marrant, je tombe sur cette phrase de Antoine de Saint Exupéry :

La perfection est atteinte non quand il ne reste rien à ajouter, mais quand il ne reste rien à enlever.

J’aurais donc bientôt atteint la perfection ! Je crois en effet bien qu’il ne restera bientôt plus grand chose à enlever : la mémoire a été enlevée, les mots on été enlevés, la sérénité a été enlevée, la tranquillité a été enlevée, la joie a été enlevée, le sommeil a été enlevé, le calme et l’insouciance ont été enlevés, la santé a été enlevée, la confiance dans les autres a été enlevée, l’espoir a été enlevé, bref presque tout a été enlevé… Il ne reste guère plus que la vie qui n’a pas encore été enlevée… Donc, je corrige : je n’ai pas encore tout à fait atteint la perfection : il y a encore des trucs qu’Alzheimer va enlever…

Les plaisirs de la conversation

Le problème (un des problèmes), quand on s’occupe de quelqu’un qui a la maladie d’Alzheimer, c’est que les autres ne se rendent pas compte de l’état de délabrement physique, psychique, psychologique, moral, spirituel, métaphysique dans lequel on se trouve. Mais bon, c’est comme ça et il vaut mieux ne pas en parler parce qu’ils n’aiment pas trop sortir leurs têtes d’autruches profondément enfoncées dans le bon sable chaud de leur indifférence. Mais, juste pour vous donner une idée, voici un graphique représentant une conversation que j’ai eue hier avec maman :

en vert c’est ce que je lui dis, et en rouge ce sont ses réponses. Par exemple là c’était une longue discussion pour savoir où étaient ses lunettes. J’ai cherché pendant plus d’une heure partout, dans tous les coins et recoins (surtout dans les endroits les plus plausibles : frigidaire, vases, chaussures, cafetière etc…). Et, comme vous le voyez sur la courbe rouge, l’aide de maman a été relativement faible (juste deux petites indications pour m’aider à les trouver : le grille-pain et le pot de cornichons). La courbe verte qui descend, à la fin, c’est quand j’ai finalement retrouvé les lunettes : dans la poubelle sous les épluchures de pommes de terre et les fleurs coupées… Après, ce n’est même plus sur le graph tellement c’est descendu bas : c’est quand mon appareil de photo est tombé de ma poche dans l’évier de la cuisine. Je l’ai retiré aussitôt mais c’était trop tard : tous les systèmes électroniques étaient morts. Moi aussi.

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Autres petits bouts d’Alzheimer …
Mon cerveau fait comme les marrons en hiver…
Je deviens traducteur de ce qui n’a pas été dit
Une boite pour le huitième jour de la semaine
Au troisième top du baromètre il sera 17heures
Oh mais j’aurais tellement aimé vous aider !

Les saint et les héros dépriment eux aussi !

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Je lis ce matin, sur le site du Figaro, qu’après les récentes disparitions de deux malades tuées par leurs maris, l’association France Alzheimer craint de nouveaux cas. Que la décision de mourir soit prise à deux ou pas, l’épuisement, le stress ou la dépression sont présents dans tous les cas. “Il faut avoir à l’esprit à quel point l’accompagnement du compagnon malade est éprouvant”, remarque Éric Fiat, philosophe et responsable d’un master d’éthique médicale. “À moins d’être un saint ou un héros, il est impossible, par moments, de ne pas être tenté par la haine, la violence ou le dégoût”.. On sait que les conjoints aidants ont une espérance de vie plus courte et des défenses immunitaires affaiblies. Alors que 70 % des malades vivent à domicile, l’association France Alzheimer insiste aujourd’hui sur la nécessité de soutenir les proches des patients.

Bon, espérance de vie plus courte et défenses immunitaires affaiblies… no comment.

Lapin © de Beatrix Potter

L’infini dans la paume de la main…

Tout à l’heure je regardais une minuscule clochette et je me disais que Dieu était carrément grand, jusque dans les plus petits détails. Quand je pense qu’on est dans un univers où il y a des galaxies spirales, des milliards d’étoiles et aussi cette petite clochette, là au creux de ma main, moi ça me donne le vertige. Voir dans chaque atome la totalité des mondes, a dit le bouddha, tel est l’inconcevable. Je le pense aussi.

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En regardant bien, je vois d’ailleurs que ma ligne de tête accuse une sérieuse discontinuité. Je ne connais rien aux lignes de la main, mais je me demande si elles indiquent un état pour la vie entière ou si c’est une temporalité sur laquelle on chemine, comme on marche sur la ligne du temps… Je veux dire : l’accident dans le carré blanc, c’est le signe que ma tête est cabossée depuis le début et pour toujours parce que c’est sa nature de ligne de tête ? ou bien il y a juste un passage accidenté, et alzheimer est juste un mauvais moment de la vie à passer et je vais arriver à sauter le passage cabossé ?

Dieu est grand

Les pommes de terre d’alzheimer

Le problème avec alzheimer, c’est qu’il est de plus en plus difficile d’occuper la personne dont on s’occupe… Et donc tout est bon, y compris peler des pommes de terre : j’en achète donc des montagnes, et Maman les pèle pendant que je travaille.

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Quand je reviens, non seulement elles sont pelées (épluchures normales) mais Maman a continué à peler (deuxième couche d’épluchures) et si je n’interviens pas à temps, elle pèle encore une troisième fois jusqu’à ce qu’il ne reste plus, à côté une montagne d’épluchures, que quelques petits dés d’un vestige de pommes de terre. Avant j’essayais d’intervenir, d’expliquer, d’empêcher… Maintenant je ne cherche même plus à comprendre : j’achète encore plus de pommes de terre, des montagnes de pommes de terre, des Golgothas de pommes de terres… L’inconvenient c’est évidemment qu’il faut bien les manger ces foutues patates et que je deviens carrément obèse. C’est aussi ça alzheimer. Le reste je n’ose même pas le dire ici tellement c’est triste. Heureusement de Frank et Marielle sont là pour me donner, de temps en temps, quelques heures de leur temps… Sinon je serais déjà devenu un Sumo !

Les mensonges (sur Alzheimer) par omission

Le silence, lorsque les paroles et les mots ont disparu…

Aujourd’hui, beaucoup de ceux qui parlent du Mime Marceau et que j’entends jacasser dans les médias pour lui rendre hommage sont ceux-là même qui auront usé les mots jusqu’à la corde ; jusqu’à vous donner envie de ne plus rien dire pendant des mois pour laisser revenir le silence et reposer la langue de leur vacarme insignifiant.

Au cours des dernières années, j’ai découvert ce qu’était le silence lorsque les mots n’existent même plus pour le rompre… Comme les enfants qui arrachent une à une les ailes des mouches, alzheimer arrache les mots les uns après les autres, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que deux, ou trois, et bientôt plus aucun… comme un ciel plein d’étoiles qui s’éteint peu à peu… Dans cette nuit sans étoiles où l’âme grelotte parce que c’est la vie qui s’en va doucement, on mesure alors ce qu’est le silence, et le poids des mots et tout ce qu’ils représentaient quand ils étaient agiles, souples, vivants et pas des ossements momifiés dans les dictionnaires ou la bouche des hommes politiques… Merci et adieu cher Mime Marceau…

Quelques petits bouts de SILENCE, en vrac… Continue reading

Les petits paquets envoyés au front

Un peu comme les poilus de la guerre de 14 recevaient par la poste aux armées leurs boites de singe, leurs douze biscuits et leurs deux tablettes de café, j’ai moi aussi reçu, sur le front Alzheimer, pendant des mois et des mois, régulièrement, des petits paquets jaunes bouton d’or avec, à l’intérieur, pleins de DVD, véritables kits de survie mentale pour les temps de détresse psychique.

J’ai ainsi reçu, pour traverser les nuits blanches et chasser les idées noires : des Fellini, des Resnais, des Antonioni, des Rohmer, des Bresson, des Louis Malle, des Tatis, des Losey, des Scorcese, des Ozu et aussi des G. Deleuze, et des Nathalie Sarraute, et encore des Lévy-Straus, et des Sviatoslav Richter, et des Grigory Sokolof, et des Horowitz, et des Heifetz, et des Alban Berg et des Knapperstbusch et des P-H Salfati etc etc. La liste est trop longue pour je puisse la mettre ici en entier… Et encore hier matin c’était Leonard Bernstein qui arrivait. Merci Lydie ! Merci d’avoir fait ça pendant toutes ces années de détresse !