“Je me souviens….” de mon immense fatigue à l’époque…

La semaine dernière, avec Odile, on relisait des “Je me souviens…” de Georges Perec. Beaucoup de souvenirs radieuxsont remontés à la surface. Des souvenirs de clairs jours de ma vie… Hier — sans doute parce que j’avais mal dormi à cause du mistral qui, ici, fait tomber les branches et claquer les volets — je me suis réveillé complètement épuisé. Et, comme “je me souviens”… j’ai repensé à l’époque où j’étais littéralement mort de fatigue à cause de la maladie d’Alzheimer de Maman… Je me suis souvenu d’un jour où, totalement épuisé, je m’étais m’allongé un moment sur l’herbe au pied du Dôme des Invalides, la tête entre les pâquerettes, le ciel bleu à la verticale de mes soucis, ne pensant plus à rien…

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Que va-t-il nous arriver quand nous n’aurons plus de vie extérieure et plus de vie intérieure ?

J’écoutais, sur Zeteo, un entretien avec Bernard Montaud sur les anges gardiens et l’importance de la vie spirituelle. La foi s’effondre partout, constatait-il, ce qui est un très mauvais signe pour l’espèce humaine. Car si nous ne vivons pas avec une vie intérieure puissante, on finira tous Alzheimer au moment de la vieillesse quand la vie extérieure aura foutu le camp.

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Mais quel rapport y a t-il entre la guerre au Mali et la maladie d’Alzheimer ?

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Ce n’est pas parce qu’elle ne fait plus la une des journaux que la guerre au Mali est terminée. Pour entrer en guerre, une décision Présidentielle suffit. C’était l’opération Serval, lançée le 11 janvier, qui a permis à François Hollande d’être accueilli en héros à Tombouctou le 2 février 2013. Mais pour prolonger l’intervention au-delà de 4 mois, il faut faire voter le Parlement (ce qui a été fait le 22 avril dernier : pas un parlementaire ne s’y est opposé). Très bien : on lance la guerre, on la prolonge mais on ne nous dit pas quand on l’arrête vraiment. Mais, naturellement, il faut la payer (alors qu’on n’a plus de sous et que la loi de programmation militaire va, dans les jours qui viennent, mettre les armées au régime sec).

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Je relève de la pédiatrie !

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Depuis toujours, je suis impatient : je veux que tout aille vite ou plutôt qu’on ne tergiverse pas et ne perde pas de temps. Quand les choses demandent du temps (planter des chênes par exemple) je sais bien sûr attendre et être patient. Mais pour le reste, je n’aime pas que les gens traînent.

J’ai appris que ce syndrome (qui exaspèrait les gens de mon bureau) ne relevait pas de la psychiatrie mais de la pédiatrie : mon comportement est en effet typiquement celui des enfants qui ne savent pas différer leurs impatiences (“je veux ma glace à la vanille tout de suite !”). Voilà, c’est exactement ça : je n’arrive pas à différer mes impatiences !

Mais avec les jacinthes, c’est différent :
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L’IRM cervicale a fait d’immenses progrès

[Ce post est un vieux post de 2007 mais comme je parlais de cet ANGE hier à Sabrina, je le remonte ici juste pour lui montrer la photo. Mais ça date d’il y a six ans : mon cerveau est pire aujourd’hui :-]
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L’imagerie par résonance magnétique (IRM) a fait d’immense progrès au cours des dernières années. Grâce à une résolution spatiale et temporelle extraordinaire, elle révèle maintenant les moindres détails du fonctionnement du cerveau. La vue du mien est édifiante de précision (voir photo ci-dessous). Pratiquement plus de zones activées, plus de mouvement, des gravats… Heureusement il y a un ange là-haut … Peut-être va-t-il finir par faire quelque chose ?

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Mon cerveau en 2008 après Alzheimer ou Dresde après les bombardements de février 1945 : c’est pareil !

L’ange de l’histoire de Klee
Liste des villes à protéger
Les journées avec Alzheimer
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D’autres anges…
J’aime bien ces anges…
j’aime tellement cette Annonciation…
L’ange voleur d’étoiles,
Sûrement j’exagère
Wer wenn ich schreiee
L’ange des ruines de Dresden…
J’aimerais bien que Dieu m’accorde 3 secondes !
Pourquoi Fra Angélico a t-il peint ce trou ?
Des ailes (d’ange?) pour planer au-dessus de la mort …

Voilà, je suis orphelin et inconsolable


J’avais abandonné ce pauvre blog en mai 2008 parce que la maladie d’Alzheimer de Maman était déjà trop lourde à porter. Je ne sais pas comment j’ai trouvé la force de continuer, mais j’aurai finalement tenu encore deux ans et deux mois de plus… Maman est partie hier matin et je suis désormais orphelin. Orphelin, inconsolable et exténué par ces dernières années épouvantables. Le Bon Dieu, finalement, aura eu pitié et elle sera heureusement partie détendue et apaisée. Le matin de sa mort, j’avais peur qu’elle soit triste ou crispée. Je l’ai trouvée souriante. Je ne savais pas que les morts souriaient : Maman, en tout cas, souriait…
Je vais essayer de recommencer à aller au Jardin du Luxembourg où je l’emmenais tout le temps quand elle pouvait encore se déplacer. J’irai voir les fleurs qu’elle aimait, les merles sur les belles pelouses, les canards dans le bassin, les poneys avec leurs bons yeux et les petits ânes qui promènent les enfants sur leur dos dans l’allée centrale… C’est ça qu’elle aimait. Elle avait un carnet d’adresses où elle gardait la liste de tous ses amis. Et à la lettre “A”, il y avait marqué “ânes”… Et elle avait écrit à la main tous leurs prénoms : Altesse, Aramis, Adriana, Athos, Rosette, Reinette, Mickey, Vulcain… C’est ce que je vais aller faire maintenant : aller au Jardin du Luxembourg et dire aux merles, aux petits ânes et aux grands rudbeckias jaunes qu’elle est partie.
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“L’essentiel est invisible pour les yeux…”

Entre ce post et le précédent, plus de deux ans se seront écoulés

Je reviens juste quelques secondes sur ce blog (commencé en juin 2003 et abandonné en mai 2008) et je repars aussitôt. Mais je voulais juste dire encore une dernière chose simple qui servira peut-être à ceux qu’Alzheimer frappera un jour ; eux ou leurs proches. Dans la vie, les choses essentielles sont invisibles. Certaines maladies aussi. Donc si vous vous cassez la jambe au ski et qu’on vous met un beau plâtre et des béquilles, les gens vous plaindront et vous aideront à traverser la rue parce qu’ils VOIENT les conséquences de l’accident. C’est pourtant un accident banal, minuscule, mais à visibilité surlignée et (à cause des béquilles et du plâtre) à compassion amplifiée. Les gens adorent la grande déploration sur le dérisoire. Mais si c’est surper grave mais que c’est dans le cerveau, personne ne voit rien parce qu’il n’y a rien à voir précisément (sauf, à l’hôpital, l’hypocampe vu en imagerie par résonance magnétique). Et donc on a : invisible = indifférence (ou “circulez, il n’y a rien à voir” !). Et non seulement il n’y a rien à voir mais en plus les gens vous assènent des phrases du genre : “tu sais j’ai trouvé ta mère vraiment très bien…” (évidemment la maladie d’alzheimer ne fait pas pousser des cornes ni surgir d’énormes boutons verts sur les joues). Tout ça pour dire que l’indifférence des gens (en plus de l’égoïsme qui est encore une autre histoire) vient souvent de cette invisibilité ou de cette incapacité à voir ce qui est invisible… J’ai beaucoup expérimenté cette situation et voulais donc la noter ici pour qu’elle serve peut-être un jour à d’autres. Quand un aveugle arrive avec sa canne blanche, Continue reading

Allez, ouste, dehors les vieux ! vous gênez !


© Bill Traylor

C’est marrant comme à propos d’Alzheimer les gens ne peuvent pas s’empêcher de répéter inlassablement la même phrase quand ils vous rencontrent : “Mais tu devrais te renseigner tu sais, il y a des maisons pour ça non ?”, de la même façon qu’ils vous diraient que vous pouvez accrocher votre chien à un platane sur l’autoroute pour vous en débarrasser quand vous partez en vacances au mois de juillet… (eux qui ne laisseraient pas leur chien ou leur chat une seule nuit chez le vétérinaire !). Pour les vieux atteint d’Alzheimer, pas de problème : y a qu’à s’en débarrasser ou les mettre à l’asile ! (Oops non, pardon, ils ne disent pas “s’en débarrasser” mais “placer dans une maison”… (ça fait plus magique). Ils n’ont jamais mis les pieds dans ces maisons, mais ils vous assurent tout de même que c’est très bien (avec des fleurs et des gens “très compétents” tu sais…). Mais le problème ce n’est PAS que ce soit bien ou pas bien (évidemment que c’est très bien), c’est la déchirante rupture de la personne malade avec tout ce qu’elle a aimé pendant des décennies : ses habitudes, ses meubles, ses affaires, les milliers de petits détails de la vie courante, la vie quotidienne, la vie tout court en fait ! Elle a déjà TOUT perdu (tous les souvenirs, tous les mots,…) et il faudrait encore lui arracher ses ultimes repères matériels ? Donc je ne dis pas que je ne serai pas obligé de le faire (même assez vite maintenant). Mais j’aurais au moins essayé de tenir. Pour retarder le plus longtemps possible : pour que la rupture terrible et définitive se fasse le plus inconsciemment, le plus doucement, le plus insensiblement possible… Si je les avais écoutés, il y a déjà quatre ans qu’elle serait “placée” … Quatre ans… Allez ouste les vieux, dehors, vous êtes gênants !

Outrenoir… au-delà du noir…. de l’autre côté du noir…

Hier soir, dans un documentaire sur Arte, Pierre Soulages disait ceci :

Enfant, je devais avoir quatre ou cinq ans, je me tenais contre le parapet du pont et il y avait des trains à vapeur qui manoeuvraient dessous dans un énorme panache de fumée noire qui obscurcissait tout le paysage. On ne voyait plus rien ; on était dans la fumée noire. Et progressivement la fumée s’en allait et les formes réapparaissaient et j’aimais beaucoup ça”.

Ce noir et cette suie des locomotives n’a strictement rien à voir avec le magnifique “outrenoir” de Soulages (qui désigne évidemment un tout autre champ mental que celui qui est atteint par la seule couleur noire)… mais je me demandais, en l’écoutant parler de cette fumée noire, ce que je verrai du paysage de ma vie quand l’énorme crasse noire que dépose Alzheimer® sur mon âme aura progressivement disparu… Qu’y aura-t-il outrenoir ? Qu’y aura t-il après le noir ?

Attention respect
L’outrenoir de Soulages
Des croquis inédits de Soulages
Youpi j’ai des lunettes faites par Soulages

Artsy’s Pierre Soulages page

Alzheimer peint tout en noir dans ma vie comme dans la chanson de Bob Dylan…

J’ai compté les mots qui disparaissaient… Il n’en reste plus

Voilà, Alzheimer® a presque terminé et gagné sa première bataille contre les mots. Maman, qui savait tant de choses, ne sait désormais plus rien. Les derniers mots qu’elle utilisait pour communiquer ont maintenant tous disparus (il en reste deux ou trois), remplacés par les terribles billes noires d’Alzheimer®. Plus de mots, juste du noir… Et je sais que ce n’est que la première manche d’Alzheimer® et que le pire est encore à venir. J’ose à peine imaginer. Je sais en tout cas que plus aucun miracle ne viendra s’agenouiller devant ma porte comme un chameau attendant qu’on le monte (un chameau bienveillant mastiquant un épi sec et souriant avec ses bons yeux aux grands cils). Voilà, je n’en dis pas plus. Je voulais juste donner quelques nouvelles du front à ceux qui parfois me disent qu’ils pensent à moi et me demandent comment ça va !

Je deviens traducteur ce ce qui n’a pas été dit
les plaisirs de la conversation
Le chat d’estelle
Mes jours avec alzheimer

Quelques petits bouts de silence, en vrac… Continue reading

Apprendre à dézoomer vite fait …

Il faut très rapidement que j’apprenne à dézoomer. Ceux qui me connaissent un peu savent que j’aime bien faire exactement l’inverse : agrandir les toiles des Musées avec une loupe à 200% ; ou agrandir les cartes comme un malade avec Google Maps… Mais ces derniers temps, c’est Alzheimer qui a zoomé un peu trop fort dans mon cerveau : il a tout peint en noir et agrandi la tache à 200%. Brrrrr, fait beaucoup trop sombre là dedans maintenant : faut que je dézoome rapidement pour retrouver un peu de blanc et de calme intérieur… Le seul problème avec Alzheimer, c’est qu’il ne vous laisse pas prendre du recul : ce serait trop beau… Et le yin yang il s’en moque comme de sa première chemise ! Bon, enfin bref, ce que je voulais dire c’est que j’allais peut-être essayer, ces prochains temps, de prendre un peu de…. recul. Sur ma vie. Et peut-être aussi sur ce blog… Dézoomer quoi ! Et sans doute l’abandonner. Arrêter d’écrire. Plus rien à dire n’importe comment. La vie est trop dure.

Agrandir à 200%
Agrandir avec Google Maps
Alzheimer peint tout en noir
Mon cerveau ou Dresde après le bombardement : pareil
Les journées avec Alzheimer

Le vieil arbre du Luxembourg en soins palliatifs


Hier, comme tous les samedis depuis des siècles, je vais au Luxembourg me ballader. Ecouter les oiseaux, voir où en sont les fleurs et les plantations, regarder les enfants jouer et les canards barboter dans le grand bassin, dire bonjour aux abeilles, passer vers les boulistes et les joueurs d’échecs. Et parfois discuter avec Vincent quand il va promener sur ses épaules sa petite fille aux beaux yeux bleus… Chaque fois, avant de partir par la rue Férou, je vais rendre visite à ce vieil arbre que j’aime bien et qui me fait penser à ma lutte contre Alzheimer. Le tuteur en bois, sur la gauche, c’est moi … Jusqu’à présent l’arbre a tenu. Quand ce blog s’arrêtera, on saura si le tuteur a tenu.

PS. Merci en tout cas aux jardiniers du Luxembourg. Contrairement à d’autres, ils font honneur à leur profession

Quelques autres arbres…
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L’histoire des deux petites souris

À propos de ce que je fais pour ma mère qui souffre de la maladie d’Alzheimer, je pense souvent à l’histoire de deux souris qui tombent dans une bouteille de lait.
• La première se décourage assez rapidement car on lui répète inlassablement qu’il n’y a pas d’issue, qu’il est inutile de lutter et qu’il faut donc abandonner le combat. Bref, se débarrasser du fardeau. Sinon c’est la garantie de couler et de se noyer.
• La seconde, au contraire, décide de lutter jusqu’au bout. Elle n’est pas stupide et voit bien qu’il n’y a pas de solution et que son combat est perdu d’avance, mais elle décide de se battre. Elle continue à nager toute la nuit et, au matin, la crème battue s’est transformée en beurre et elle arrive à sortir du pot. Elle est sauvée…. Continue reading

Mensonges par omission

S’il n’y avait pas la saucisse dans le hot dog (si je l’avais effacée dans Photoshop par exemple), vous le verriez tout de suite. Et vous diriez : “tiens, c’est bizarre, il n’y a pas de saucisse dans le hot dog”. Et on s’embarquerait dans une discussion sur la partie de droite, vulgaire (la saucisse) qui empêcherait de parler du sujet de gauche, poudré et raffiné : “mais pourquoi diable cette belle élégante du XVIIe siècle fait elle de la pub pour une marque de bière alsacienne ?” –

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Après plusieurs années d’alzheimer, j’ai compris qu’il ne faut surtout pas parler d’alzheimer : ce n’est pas un sujet poudré et élégant. Les gens n’aiment pas les détails parce que ça les ferait descendre aux Enfers et c’est mal éclairé et ça ne sent pas très bon. Dans un blog c’est pareil : il faut uniquement parler de la partie amusante, enjouée, poudrée et élégante, – psychologiquement admissible – de ce qui peux se dire sur la maladie d’alzheimer et ses terribles effets collatéraux. Dire la vérité vraie serait trop lourd – pour moi comme pour les lecteurs qui seraient choqués, baisseraient la tête, fermeraient les yeux et se boucheraient les oreilles : les gens n’aiment pas entendre les choses difficiles à avaler. Ils veulent que ce soit fun. Donc je mens inlassablement dans ce blog – par omission. Je parle “d’alzheimer” bien sûr – je prononce le mot – souvent – mais je n’aborde guère ce que les médecins appellent la “démence sénile”… Pour tout le monde, Alzheimer c’est simplement la perte de la mémoire ou ce qu’on leur montre à la télé dans des émissions grand public : des vieux sympathiques assis sur des fauteuils qu’on distrait avec des cubes ou de la pâte à modeler… Mais la partie cachée de la maladie, tous les effets collatéraux sur l’entourage (by the way l’entourage c’est moi tout seul), faut pas en parler, les gens n’aiment pas les voir. C’est pas drôle, pas poudré ni raffiné.
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Tenir ! Facile à dire !

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Vu ce qui s’est passé ces derniers jours, le sale dragon Alzheimer ne me laissera sans doute pas le temps d’arriver sain et sauf sur l’autre rive …

Arriver sur l’autre rive… (déjà en 2004…)
Dans les pattes du destin…
Ma chute d’Icare
Ecrabouiller le Mal ? Jubilatoire !


Hans Memling (c. 1440-1494)
Détail d’une huile sur panneau de chêne 1474-79
Memlingmuseum, Sint-Janshospitaal, Bruges

En ce moment tout part en charpie

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C’est bizarre, en ce moment tout se déglingue à toute vitesse… Alzheimer et maman je n’en parle même pas. Mais mes chemises, mes chaussures, mon cerveau, mes nerfs, ma patience, ma santé : tout est usé, fusé, troué et tombe en charpie. Ma vie elle aussi tombe en quenouille. Il doit y avoir des moments comme ça dans une existence où tout arrive au bout du bout. Ma chemise verte, j’aurais peut-être encore pu la garder quelque temps. Mais mon cerveau et mes nerfs sont usés jusqu’à la corde et sont en train de craquer. Je tombe en miettes et serai bientôt bon à jeter aux moineaux. Alzheimer, c’est vraiment une maladie de merde !

Mesurer sa vie en matins…

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Alzheimer ne pulvérise pas seulement la mémoire mais le temps aussi ; le temps et sa mesure qui fait que j’ai du vieillir de dix ans ces deux dernières années et que je n’ai plus jamais eu les longues plages de temps que j’avais auparavant pour faire ce que je faisais et qui était tout simplement … ma vie.

Dans un entretien, Balthus parle quelque part du temps et de sa mesure. Il dit qu’autrefois on mesurait les prés en matins. Un matin c’était la surface de pré que pouvait couvrir un homme avec sa faux en une matinée.

Je trouve cette expression tout simplement magnifique et sans doute suis-je un faucheur de ces époques révolues où le temps s’écoulait lentement au clocher des villages. Je rêve, le champ fauché, de pouvoir m’allonger sur le dos un jour d’été, avec de la paille dans les cheveux, écoutant le crissement des sauterelles dans l’herbe jaunie ; attendant avec les autres moissonneurs transpirant sous le soleil de midi que les femmes du village voisin nous apportent pour le repas les énormes miches de pain et la soupe de lard… Comme disait ma grand-mère : on a les rêves qu’on mérite.

Parlez des foins me fait toujours penser à cette belle phrase de Claude Roy… Et aussi ce magnifique texte de C.F. Ramuz sur “Ces hommes qu’on ne peut pas ne pas entendre”……

Vichnou et la lenteur

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Quelques bouts de nostalgie
Nostalgie des coquelicots et du sourire de la petite boulangère
Nostalgie des temps heureux
Remonter le temps en rentrant dans les tableaux
Nostalgie des petits villages
Quand les caractères s’incrustaient dans le papier

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Pouvoir poser sa tête, juste un moment …

christ_jean.jpg Pour ceux qui ne le savent pas, je leur dis: la maladie d’Alzheimer est une vraie merde. Il y a ce qu’on lit dans les revues (ou plutôt ce qu’on ne lit pas parce que si on savait vraiment ce qui va arriver on ne se lèverait même plus le matin), ce que les gens vous montrent à la télé (qui n’est pas la vraie vie) et ce que vous disent la famille ou les amis (qui ne peuvent pas s’empêcher de répéter inlassablement la même phrase quand ils vous rencontrent : “Mais tu devrais te renseigner tu sais, il y a des maisons pour ça non ?”) de la même façon qu’ils vous diraient que vous pouvez accrocher votre chien à un platane sur l’autoroute pour vous en débarrasser quand vous partez en vacances l’été)… Et puis il y a la vie quotidienne et là je ne vous raconte même pas tellement c’est triste et dur et inimaginable. Sans parler de l’exil intérieur qui vous coupe du monde… Si je n’avais pas lu cent fois Les Cent Mille Chants de Milarépa dans ma vie, je n’aurais jamais tenu. Le pire c’est de ne pas avoir eu une seconde pour reposer sa tête. Juste souffler cinq minute. Arrêter de s’occuper de la personne qui est malade et pouvoir juste poser sa tête un moment… Juste la poser ; juste un moment. J’y pense en regardant cette belle carte que vient de nous envoyer Anne pour Noël représentant le Christ et Saint-Jean (XIVe siècle, couvent Saint-Martin, Hermetschwil). J’ai l’impression que ma fatigue date aussi du… XIVe siècle !

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Mort de fatigue
Et autres petits bouts d’Alzheimer …
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“Lorsqu’il n’y a plus rien à faire, que faites-vous ?”

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Il y a des mots du dictionnaire qu’on utilise assez rarement dans la vie. Et puis le temps passe et tout à coup, paf, le mot s’applique parfaitement à ce qu’on vit et on prend peur. Par exemple “aporie” (vous savez cette sorte de situation où toutes les issues sont bloquées : si vous sortez par la porte vous êtes mort et si vous sortez par le fenêtre vous êtes également mort)… Vous n’utilisez pas souvent le mot ? moi non plus. Mais avec la progression d’alzheimer, je découvre ce que c’est que se trouver en pleine aporie : si je dois enfermer maman dans une maison, je me jette par la fenêtre tellement c’est triste. Et si je ne l’enferme pas, je me jette tout de même par la fenêtre tellement je n’en peux plus… Vous voyez, le vocabulaire est bien fait, tout est prévu, même les pires cas de détresse. Vous êtes en pleine aporie et comme il y a un mot pour ça, vous n’avez même pas l’impression que c’est grave (“Ah mon cher ami, vous êtes en pleine aporie, mais comme c’est amusant ce mot !”.). La seule chose qui me console c’est qu’au pire de l’absurde, ça ressemble presque à un koan japonais. Mais dans le bouddhisme zen, les koans ouvrent au moins la voie au satori et j’en suis loin ! Ou bien c’est la fenêtre qui est trop proche…
Voici un exemple d’aporie : le moine Xiang’yan dit : “Imaginez un homme sur un arbre accroché par les dents à une branche. Ses mains ne peuvent pas saisir la branche du dessus, et ses pieds n’atteignent pas la branche du dessous. Quelqu’un lui demande, “Pourquoi Bodhidharma est-il venu de l’Ouest ?” Si l’homme ne répond pas, il fait défaut au questionneur. Mais s’il desserre les dents pour répondre, il tombe et se tue.
[“L’homme perché sur l’arbre” extrait du Wumen guan (La passe sans porte)]
Allez, je vous laisse et je continue à serrer les machoires : faut encore tenir !

Les journées avec Alzheimer…

La mystérieuse sandale d’Empédocle

Quand le froid vous gèle les os et que l’âme se glace à cause d’Alzheimer, je me dis parfois que Empédocle avait sans doute raison de vouloir s’approcher (un peu trop près) de l’Etna… On a besoin d’un peu de chaleur parfois.


La sandale d’Empédocle

Empédocle (Wikipedia)
Hölderlin – La mort d’Empédocle

Alzheimer fait les choses “à la perfection” !

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C’est marrant, je tombe sur cette phrase de Antoine de Saint Exupéry :

La perfection est atteinte non quand il ne reste rien à ajouter, mais quand il ne reste rien à enlever.

J’aurais donc bientôt atteint la perfection ! Je crois en effet bien qu’il ne restera bientôt plus grand chose à enlever : la mémoire a été enlevée, les mots on été enlevés, la sérénité a été enlevée, la tranquillité a été enlevée, la joie a été enlevée, le sommeil a été enlevé, le calme et l’insouciance ont été enlevés, la santé a été enlevée, la confiance dans les autres a été enlevée, l’espoir a été enlevé, bref presque tout a été enlevé… Il ne reste guère plus que la vie qui n’a pas encore été enlevée… Donc, je corrige : je n’ai pas encore tout à fait atteint la perfection : il y a encore des trucs qu’Alzheimer va enlever…

Cochez bien que vous êtes vivant sinon vous êtes mort !

La caisse de retraite de Maman lui adresse régulièrement un document l’invitant à certifier qu’elle est bien vivante (histoire de continuer à lui verser sa pension).
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Moi personne ne me demande jamais de certifier que je suis encore vivant. Il est vrai que je le suis de moins en moins à cause de cette immense fatigue. Mais, tout de même, je serais bien content de signer un papier de temps en temps pour dire que je suis encore là. Juste comme ça, pour le fun comme ils disent au Canada.

Ou alors qu’ils mettent trois cases avec : (1) mort (2) vivant (3) en train de mourir.

Comme ça je pourrai cocher la troisième case et on arrêtera de me demander comment ça va alors que je me cogne alzheimer du matin au soir.

Mes semaines avec Alzheimer c’est ça

Les plaisirs de la conversation

Le problème (un des problèmes), quand on s’occupe de quelqu’un qui a la maladie d’Alzheimer, c’est que les autres ne se rendent pas compte de l’état de délabrement physique, psychique, psychologique, moral, spirituel, métaphysique dans lequel on se trouve. Mais bon, c’est comme ça et il vaut mieux ne pas en parler parce qu’ils n’aiment pas trop sortir leurs têtes d’autruches profondément enfoncées dans le bon sable chaud de leur indifférence. Mais, juste pour vous donner une idée, voici un graphique représentant une conversation que j’ai eue hier avec maman :

en vert c’est ce que je lui dis, et en rouge ce sont ses réponses. Par exemple là c’était une longue discussion pour savoir où étaient ses lunettes. J’ai cherché pendant plus d’une heure partout, dans tous les coins et recoins (surtout dans les endroits les plus plausibles : frigidaire, vases, chaussures, cafetière etc…). Et, comme vous le voyez sur la courbe rouge, l’aide de maman a été relativement faible (juste deux petites indications pour m’aider à les trouver : le grille-pain et le pot de cornichons). La courbe verte qui descend, à la fin, c’est quand j’ai finalement retrouvé les lunettes : dans la poubelle sous les épluchures de pommes de terre et les fleurs coupées… Après, ce n’est même plus sur le graph tellement c’est descendu bas : c’est quand mon appareil de photo est tombé de ma poche dans l’évier de la cuisine. Je l’ai retiré aussitôt mais c’était trop tard : tous les systèmes électroniques étaient morts. Moi aussi.

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Autres petits bouts d’Alzheimer …
Mon cerveau fait comme les marrons en hiver…
Je deviens traducteur de ce qui n’a pas été dit
Une boite pour le huitième jour de la semaine
Au troisième top du baromètre il sera 17heures
Oh mais j’aurais tellement aimé vous aider !

Les saint et les héros dépriment eux aussi !

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Je lis ce matin, sur le site du Figaro, qu’après les récentes disparitions de deux malades tuées par leurs maris, l’association France Alzheimer craint de nouveaux cas. Que la décision de mourir soit prise à deux ou pas, l’épuisement, le stress ou la dépression sont présents dans tous les cas. “Il faut avoir à l’esprit à quel point l’accompagnement du compagnon malade est éprouvant”, remarque Éric Fiat, philosophe et responsable d’un master d’éthique médicale. “À moins d’être un saint ou un héros, il est impossible, par moments, de ne pas être tenté par la haine, la violence ou le dégoût”.. On sait que les conjoints aidants ont une espérance de vie plus courte et des défenses immunitaires affaiblies. Alors que 70 % des malades vivent à domicile, l’association France Alzheimer insiste aujourd’hui sur la nécessité de soutenir les proches des patients.

Bon, espérance de vie plus courte et défenses immunitaires affaiblies… no comment.

Lapin © de Beatrix Potter

Les pommes de terre d’alzheimer

Le problème avec alzheimer, c’est qu’il est de plus en plus difficile d’occuper la personne dont on s’occupe… Et donc tout est bon, y compris peler des pommes de terre : j’en achète donc des montagnes, et Maman les pèle pendant que je travaille.

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Quand je reviens, non seulement elles sont pelées (épluchures normales) mais Maman a continué à peler (deuxième couche d’épluchures) et si je n’interviens pas à temps, elle pèle encore une troisième fois jusqu’à ce qu’il ne reste plus, à côté une montagne d’épluchures, que quelques petits dés d’un vestige de pommes de terre. Avant j’essayais d’intervenir, d’expliquer, d’empêcher… Maintenant je ne cherche même plus à comprendre : j’achète encore plus de pommes de terre, des montagnes de pommes de terre, des Golgothas de pommes de terres… L’inconvenient c’est évidemment qu’il faut bien les manger ces foutues patates et que je deviens carrément obèse. C’est aussi ça alzheimer. Le reste je n’ose même pas le dire ici tellement c’est triste. Heureusement de Frank et Marielle sont là pour me donner, de temps en temps, quelques heures de leur temps… Sinon je serais déjà devenu un Sumo !

Les mensonges (sur Alzheimer) par omission

Le silence, lorsque les paroles et les mots ont disparu…

Aujourd’hui, beaucoup de ceux qui parlent du Mime Marceau et que j’entends jacasser dans les médias pour lui rendre hommage sont ceux-là même qui auront usé les mots jusqu’à la corde ; jusqu’à vous donner envie de ne plus rien dire pendant des mois pour laisser revenir le silence et reposer la langue de leur vacarme insignifiant.

Au cours des dernières années, j’ai découvert ce qu’était le silence lorsque les mots n’existent même plus pour le rompre… Comme les enfants qui arrachent une à une les ailes des mouches, alzheimer arrache les mots les uns après les autres, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que deux, ou trois, et bientôt plus aucun… comme un ciel plein d’étoiles qui s’éteint peu à peu… Dans cette nuit sans étoiles où l’âme grelotte parce que c’est la vie qui s’en va doucement, on mesure alors ce qu’est le silence, et le poids des mots et tout ce qu’ils représentaient quand ils étaient agiles, souples, vivants et pas des ossements momifiés dans les dictionnaires ou la bouche des hommes politiques… Merci et adieu cher Mime Marceau…

Quelques petits bouts de SILENCE, en vrac… Continue reading

Le point rouge et la pièce de lin…

Pourquoi es-tu si triste ? demanda un disciple au Grand Maître.

– Parce que je me mets à douter de l’intelligence des frères au sujet des grandes réalités de Dieu.

C’est déjà la troisième fois que, leur ayant montré une pièce de lin sur laquelle j’ai peint un petit point rouge, et leur demandant ce qu’ils voyaient, ils m’ont répondu :
“Un petit point rouge”.
– Mais jamais : “Une pièce de lin” .

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Moi non plus en ce moment je ne vois plus la grande pièce de lin : je ne vois plus que le rond rouge d’alzheimer qui s’est étendu de la tête de maman à la totalité de nos vies pour les détruire et les pulvériser en totalité. Ou alors c’est l’inverse : alzheimer est la grande pièce de lin et le rond rouge c’était le petit point d’espérance qui est en train de disparaître progressivement ?

L’intérieur et l’extérieur…

A cause d’Alzheimer je ne bouge évidemment plus beaucoup. L’extérieur est vraiment devenu l’extérieur (où je ne vais pratiquement plus). Il ne me reste plus que l’intérieur, l’intérieur au sens psychique du terme – Et dont les dimensions sont celle de ma boite crânienne : ce n’est évidemment pas très spacieux mais on fait avec ce qu’on a n’est ce pas. J’en ai fait le tour jusqu’à plus soif et donc je tourne en rond. C’est d’ailleurs peut-être cela qu’on appelle la folie : passer des heures, des jours, des années enfermé dans sa propre boite crânienne. Heureusement il y a deux trous devant au travers desquels je vois le monde. Et je peux vous dire une chose : c’est carrément étonnant tout ce qui peut se passer à l’extérieur !

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vitres et vitraux