Switchie (in memoriam)

Switchie était ma petite chienne morte un soir de noël…

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24 décembre 1993…

Il y a sur le devant de mon visage
deux petites fenêtres rondes
derrière lesquelles, assis au balcon,
j’ai vu des choses étonnantes.
J’ai vu des oies cendrées s’envoler de la page blanche d’un haïku
et des corneilles tournoyer à la cime des grands platanes,
J’ai vu l’immensité de la voie lactée au-dessus de ma tête
et des coccinnelles se poser sur le bout de mon doigt
J’ai vu la pluie briller sur les vieilles pivoines du jardin
et détaler les petits lapins de la Dame à la Licorne
J’ai vu la neige tomber à gros flocons en hiver
et les pattes des oiseaux dans la neige
et des palais de brique rouge sur des piazzas de toscane
et et des coquelicots dans les champs de blé
et des milliers d’étoiles dans les grands ciels d’été
et la lumière sur la pierre chaude des petites églises romanes
et la couleur du basilic, et celle des carottes
J’ai vu le ciel des matins de printemps
quand il est à l’orient tout rose et bordé de bel azur limpide
J’ai vu le vert tendre des petits pois qu’on écosse
et le jaune d’or du parmezan à Sienne
J’ai vu les petits copeaux de bois qui tombaient de la table de mon luthier
J’ai vu s’ouvrir une à une les petites fenêtres des calendriers de l’Avent
et tomber les marrons en automne
et le vent courber les champs d’avoine
J’ai vu trembler l’épaule des chevaux et leurs grands yeux marrons,
J’ai vu passer des hirondelles
et aussi de très jolies femmes et à chaque fois j’ai pensé que le ciel descendait sur la terre,
J’ai vu sourire ma mère et passer les nuages dans le ciel
J’ai suivi les enseignements de maîtres tibétains
et vu leurs robes pourpres et orangées
et le jaune de l’automne quand les feuilles ont la couleur des dernières sonates de Haydn
J’ai vu des petits personnages dans des lointains des miniatures du XVe siècle
et la brume argentée des petits matins d’hiver
J’ai vu des merles les soirs de printemps
et quelques belles étudiantes sur les chaises du Luxembourg
J’ai vu les lapins d’Albrecht Dürer
et les Annonciations de Fra Angelico
et les abeilles sur les fleurs des champs
et le Dôme de Florence dans la brume des petits matins d’été
J’ai vu la joie des chiens quand on va les promener
et les doux yeux marrons d’un petit griffon
qui s’appelait Switchie
et qui m’a quittée un soir de noël
et puis
… je n’ai plus rien vu.
Les larmes
ont tout brouillé.

Texte provisoire. Commencé en novembre 1996, abandonné depuis et mis là, ce soir …

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Liste des choses que j’aimerais bien…

J’aimerais bien avoir une baguette magique et arranger les choses dans tous les domaines. A l’insu des gens, en passant comme ça, et hop, et leurs problèmes seraient règlés !

………………..

J’aimerais bien être avant l’opération de ma cataracte et que mon chirurgien ne loupe pas le positionnement de l’implant de droite…

………………..

J’aimerais bien être très fort en physique et comprendre quelque chose à la mécanique quantique

………………..

J’aimerais bien avoir de l’admiration pour les dirigeants de mon pays.[Depuis 30 ans j’ai carrément honte pour eux].

………………..

J’aimerais bien que certaines durées soient modifiées : que la durée de vie des gens qu’on aime soit plus longue, celle des chiens aussi… Et que les nuit soient plus longues. J’ai tellement sommeil en ce moment !

………………..

J’aimerais bien que la vie se déroule dans l’autre sens. On sortirait de la tombe, puis on retrouverait ses grands-parents, ses amis, on retomberait amoureux, on reviendrait à l’université, on serait de plus en plus jeune… Quoi ? faudrait aussi recommencer à boire des biberons et à marcher à quatre pattes ? Ah ça non !

………………..

J’aimerais bien, dans les musées, on puisse rentrer dans les tableaux et faire partie des petits personnages de certaines toiles du XVe ou XVIe siècles italien. Rentrer dans un coin d’une annonciation de Fra Angelico ?

………………..

J’aimerais bien qu’on ne perde pas la mémoire en vieillissant !

………………..

J’aimerais bien comprendre pourquoi, si la terre tourne autour du soleil à une elle vitesse, quand je mets le bras dehors je ne sens pas le vent. Oui, bon, je connais la translation uniforme de Galilée mais je ne demande pas grand chose : juste un petit souffle. A la vitesse où tourne la terre, c’est possible, non ?

………………..

J’aimerais bien savoir jouer les 48 préludes et fugues du clavecin bien tempéré. Et les Variations Goldberg pendant qu’on y est !

………………..

J’aimerais bien connaître tous les mots du dictionnaire et arrêter de dire bêtement “rouge” quand il y a des nuances subtiles : carmin, pourpre, cramoisi, rubis, garance, incarnat, rutilant, vermillon, écarlate, cinabre, corallin, nacarat, grenat etc… J’suis vraiment trop nul. Qu’est ce qu’on a bien pu m’apprendre à l’école ?

L’impatience de Stefan Zweig …

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1941
Le 15 août, Stefan Zweig s’embarque pour le Brésil et s’établit à Pétropolis où il espère encore trouver la paix de l’esprit
Il achève de rédiger son autobiographie, Le Monde d’hier, portrait de l’Europe d’avant 1914, qu’il dessine avec nostalgie

1942
Le 22 février, Stefan Zweig désespère de l’avenir du monde et rédige le message d’adieu suivant :

” Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec ma lucidité, j’éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m’a procuré, ainsi qu’à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j’ai appris à l’aimer davantage et nulle part ailleurs je n’aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l’Europe, s’est détruite elle-même.
Mais à soixante ans passés il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d’errance. Aussi, je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde.
Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux. “

Le lendemain, Stefan Zweig et son épouse s’empoisonnent ensemble : pour se soustraire à la vie sans brutalité …

Prière pour aller au paradis avec les ânes

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Prière pour aller au paradis avec les ânes de Françis Jammes

Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Françis Jammes et je vais au Paradis,
car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon-Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreille,
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles…
Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête
doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds
d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,
suivi de ceux qui portèrent au flanc des corbeilles,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l’on met des petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.
Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je vous vienne.
Faites que dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l’amour éternel.

Françis Jammes – Le Deuil des Primevères – Gallimard

Les classes moyennes ne sont plus ce qu’elles étaient !

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Pour m’endormir hier soir, je prends le Guide du protocole et des usages de Jacques Gandouin (qui, alors qu’il était préfet, avait été viré par Giscard pour s’être exprimé de façon peu protocolaire lors d’une tentative d’évasion d’un prisonnier !) et je tombe sur ces lignes qui valent leur pesant de cacahuètes: “on ne s’habille plus guère le soir et c’est bien dommage car le port du smoking donne aux réunions mondaines infiniment d’élégance. Il eut donc été plus judicieux dans notre société de consommation (c’est Gandouin qui parle et pas moi) d’habituer les classes les plus modestes à revêtir le smoking plutôt que d’en dépouiller les classes possédantes. Il est à espérer qu’on reviendra à ce raffinement qui contribue au charme de la vie”. Je ne sais pas quelles classes modestes vous cotoyez dans le métro, mais les miennes ne revêtent pas le smoking. Ah, Mr Gandouin, vous avez raison, le charme de la vie disparaît !
Et il n’y a pas que les classes modestes qui disparaissent :

Disparition existentielle de Rilke
Disparitions des boites aux lettres…
et aussi
The Alphabet Fades Away
Disparition du peintre
La disparition de l’écureuil
Disparition des abeilles

Brindilles…

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Je ne sais pas encore très bien ce que je vais mettre ici…. Souvent je lis quelques lignes, des bribes, pas grand chose, pas de quoi faire un article. Des petites brindilles en somme. Les ramasser, les rassembler, faire des petits fagots ? Il n’y aura sans doute pas asse pour faire un feu !

“Il a plu cette nuit. Les hirondelles vont tremper leurs pattes dans la boue du chemin pour construire leur nid. On dirait qu’elles ont mis des bottes en plastique”.
Claude Roy

“Après la fin du monde, j’aimerais, dans la liquidation du stock, être chargé simplement de me souvenir de l’odeur des foins juste fauchés, à cinq heure du matin en juin”.
Claude Roy

“Pour la Liberté, un cerf-volant eut-mieux vallu qu’une statue”.
Dominique Eddé (entendue sur France Culture le 16/12/03).

“Que l’on soit historien, linguiste, mystique ou voleur de chevaux, cette lente traversée de la côte chinoise à l’Inde mogole est sans doute le plus beau trajet de pleine terre que cette planète puisse nous offrir.
Prenez la mappemonde et trouvez-moi mieux !”.
Ella Maillard, Oasis interdites

L’oiseau est parti mais la branche tremble encore.
Claudel

“Ou est passé le poing quand la main est ouverte ?
Allan Watts

“Pourquoi, dans toutes les langues occidentales, dit-on: “tomber amoureux” ? Monter serait plus juste. L’amour est ascensionnel comme la prière. Ascensionnel et éperdu”.
Nicolas Bouvier – Le Poisson Scorpion.

“Arrivé au sommet de la montagne, ne t’arrête pas !”
(Koan)

“Il neige de l’autre côté du monde”.
Gustave Roud

continuer à se ballader…

Bob t’es exceptionnel !

tim_bob.jpg Bon, je ne vais pas tartiner beaucoup sur Robert, mais je ne veux pas que ce Blog ne dise pas quelque part que c’est une personne carrément exceptionnelle. Je lui dis que ça ne va pas, il m’aide. Je dis que j’ai besoin de cartons pour mon déménagement et hop, un dimanche matin il arrive avec pleins de cartons. J’ai besoin de n’importe quoi, il me le trouve ! Et cela dure depuis beaucoup plus de vingt ans. Vingt ans que je lui casse les oreilles et les pieds et vingt ans qu’il m’aide. Bob, tu sais quoi ? t’es exceptionnel – et d’une fidélité insubmersible qui me touche. Merci !

“… oh mais c’est trop bête, j’aurais tellement aimé vous aider !”

bible_moehrke3Je ne sais pas si vous connaîssez cet homme de Cyrène appelé Simon, dont on parle dans les Evangiles ? Un jour qu’il rentrait tranquillement des champs, en remontant au Golgotha, il trouve un attroupement. Il y a des cris, une foule qui se presse, il se demande ce qui se passe, pousse un peu les autres pour voir par dessus leur épaules et découvre Jésus souffrant, courbé sous sa croix, avançant sous les colibets… Bon, je croyais bien connaître ma Bible et j’étais carrément, mais alors absolument persuadé que Simon de Cyrène s’était proposé d’aider à porter la croix. Eh bien pas du tout. Je viens de relire Matthieu, Marc et Luc et ils disent tous les trois qu’il a fallu le forcer. Les gens n’aident pas spontanément et c’est finalement plutôt normal, [surtout quand le type aidé n’est pas – ou n’a pas toujours été – vraiment commode – je parle de moi, évidemment, pas du Christ]. Sauf des exceptions remarquables et donc particulièrement précieuses : Marielle, Marlène, Muriel, Julia, Isabelle, Michèle et Franck, Jean-Louis et Monique, Benoît et quelques autres que j’oublie injustement … Un immense merci à tous ceux qui m’auront donné un peu de leur amitié et surtout, surtout, un peu de leur TEMPS… Et honte à ceux qui ont disparu quand la maladie est arrivée…

Post scriptum 1 : A propos de Simon de Cyrène, je ne me prends évidemment pas pour le Christ ! Je cite cette histoire, a contrario, pour rendre hommage à ceux qui – spontanément – auront proposé d’aider. J’ai donc moins de valeur – mais plus de chance – que le Christ. Alleluia !

Post scriptum 2 : ce que j’ai appris au fil des ans avec alzheimer c’est que la seule aide, vraiment LA SEULE, c’est le TEMPS. Le temps que les gens donnent pour vous aider à respirer ! Le temps qu’ils offrent en disant : “tiens, je viens pendant deux heures tenir compagnie à ta mère et tu sors te changer la tête” ! C’est ça la seule aide véritable pour ceux qui portent une personne qui a la maladie d’Alzheimer. Mais pour donner du temps il faut être de la famille ou des amis, assez proches en tout cas pour que l’heure passée soit familière et pas celle d’une “personne-de-la-Mairie-très-professionnelle-et-dévouée-tu sais Eric”. C’est ça l’aide.
Le reste ce sont des mots. Quand on est dans une tranchée avec de la boue partout, ceux qui aident ne sont pas ceux qui disent : “tu sais mon cher, tu devrais vraiment essayer de voir les choses autrement” ! Non, on est dans la boue avec des obus qui tirent dans tous les sens et il faut écoper et continuer à “vider les pots de chambre”. Et ça c’est du temps (pour ne pas dire plus) et une patience infinie…

Il y a la tête ; il y a le coeur ; et il y a le corps.
Alzheimer c’est beaucoup le corps : on ne vide pas les pots de chambre (et le reste) avec sa tête. C’est le corps qui s’occupe de ça. Le corps s’en occupe parce que le coeur le lui dit. Mais si la tête s’en mèle, le pot de chambre n’est pas vidé. Ou la croix n’est pas portée (si Simon de Sirène ne la prend pas sur ses propres épaules). Voilà ce que c’est alzheimer pour les gens qui décident de n’avoir recours que le plus tard possible au “placement” dans une… “jolie et très agréable maison tenue par des gens très professionnels tu sais Eric et qui sont très dévoués”

Ma chute d’Icare
Mensonges par omission

bible ©Volker Moehrke

VGE à l’Académie : même les chiens ont la migraine !

giscard_dog150.jpg Giscard à l’Académie, c’est le genre de désastre qui, lorsqu’il arrive dans votre vie de citoyen d’un ex-grand pays cultivé, vous donne carrément envie de prendre le maquis. Mais aujourd’hui, c’est où le maquis ? Avec toutes ces banlieues à la sortie de Paris on ne sais même plus où c’est !

“Pardon Monsieur, est-ce que vous pourriez m’indiquer la direction du maquis s’il vous plait ?”

J’aurais l’air malin ! Pas de poteaux indicateurs, rien. Je ne sais même pas par quelle porte de Paris il faudrait se tirer si les allemands revenaient avec leurs chars : par la Porte d’Italie ? la Porte Brancion ? (il parait qu’elle est plus petite et n’est pas gardée en temps de guerre). Bon, il va falloir que j’aille voir sur Google map et que j’étudie sérieusement la question car quand il faudra se tirer, ce sera trop tard. Si vous savez où est le maquis, dites-le moi ; ça me fera gagner du temps sur l’ennemi.

Mais l’élection de Giscard hier sous la Coupole, c’est tout de même le truc carrément pas possible à avaler. 10 avril 2003 : encore une date noire de plus. Si encore ils avaient fait ça le premier avril !

Le Times New Roman me donne mauvaise mine !

smiley04.gif Virginie, merci pour votre amitié ! Bien sûr, le jour J, je mettrai sur mon visage mon plus beau smiley que je choisirai en Univers car je me suis rendu compte cet après-midi, en essayant diverses polices de caractères pour un site, que j’avais l’air beaucoup moins triste quand je déprimais en Univers que lorsque je déprimais en Times New Roman, enfin je trouve. Quand, à mon bureau, le matin, ils me demanderont : “alors Eric, comment ça va ?” il va falloir que je demande : “vous voulez la réponse comment : en Univers ou en Times new Roman ?”. Vous voyez, Virginie, quand on passe des journées entières à travailler des typos pour des sites web, on peut devenir complètement cinglé !

Ce soir ça va mieux. Je rentre d’un concert à Saint-Roch : messes et motets de Josquin Desprez par l’ensemble A Sei Voci. Cela avait la pureté de la musique des sphères et la fraîcheur des branches de noisetiers… J’étais presque au Paradis (déjà ? tiens, comme le temps passe vite en ce moment)

… quand le cœur ne s’y attend pas.

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Muriel qui a toujours un sens aïgu de l’à propos psychologique, m’adresse par mail le texte de ce magnifique air de l’Oratorio Il Trionfo del Tempo e della Verita de G.F. Haendel:

“Lascia la spina, cogli la rosa;
tu vai cercando il tuo dolor.
Canuta brina, per mano ascosa,
giungerà quando nol crede il cor”.

Laisse l’épine, cueille la rose ;
tu cherches à te faire mal ;
les cheveux d’argent que cache la main
se montrent quand le coeur ne s’y attend pas…

Une langue “au nord de l’avenir”…

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Interrogé par Laure Adler sur France-Culture, George Steiner racontait : “… je suis à la gare de Francfort entre deux trains. Dans un kiosque, un livre m’intrigue. J’ouvre et – première phrase – je lis: “Une langue au nord de l’avenir”... J’eus un choc quasi physique et j’ai presque raté mon train. Cette phrase a changé ma vie. J’ai su qu’il y avait là une immensité qui allait entrer dans ma vie. Ce fût ma première rencontre avec l’oeuvre de Paul Celan”.

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Faire trou dans le temps…

>sablier.jpg Le temps est une drôle d’invention. Quand tout va bien, il coule tranquillement. Mais quand on réalise qu’on compte chaque petit grain de sable, alors c’est qu’il y a quelque chose qui cloche dans la vie. Ou que son temps est désormais compté. On dit qu’un peintre qui peint – ou un artiste qui écrit ou compose – se trouve dans la situation de voir le temps suspendu… Exactement comme un couple qui fait l’amour se trouve dans un temps qui est hors du temps (et en effet, il ne pense plus aux impôts ou au linge qui sèche !). Le propre de l’œuvre d’art est qu’elle fasse trou dans le temps. Et ce trou ne relève pas de chronos, il n’est pas chronologique, c’est du présent pur, un temps qui n’existe pas… On arrive parfois à s’y réfugier pendant un temps plus ou moins long. Quand je me concentre fortement – sur du graphisme web, un texte littéraire ou en écoutant des quatuor à cordes – j’arrive parfois à faire ce trou dans le temps et à m’abstraire quasi complètement du monde alentour. Mais à mon bureau, quand ils arrivent dans mon dos pendant que je travaille ainsi, je sursaute et ils se moquent de moi. Je ne peux pas leur expliquer ce qui se passe. Ils mettent ça sur le compte de la nervosité. Bon, s’ils le disent….

La petite lumière au loin… (la petite quoi ?)

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.
Dans la grande série “Je ne vais pas au théâtre mais mes amis me racontent”… voici ce que m’écrit Muriel :

Vu hier soir à la Cartoucherie Oncle Vania d’Anton Tchékov et pensé à ta vie… Mikhael lvovitch Astrov, le médecin de campagne dit :”quand on marche la nuit dans la forêt et qu’on voit au loin une petite lumière, on sent moins la fatigue, les pénombres, les épines des branches qui viennent vous balayer le visage….. Je n’aime personne et je n’aimerai plus. Ce qui me passionne encore c’est la beauté…

C’était : “j’y suis allé et j’ai aimé” par MMD, notre envoyée spéciale à la Cartoucherie de Vincennes !

Viendront des jours de ténèbres et de confusion…

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“Je sais, tout ne restera pas hymne en moi, comme ces derniers jours ;
viendront des jours de ténèbres et de confusion. Mais j’ai bien au fond de moi un petit jardin entouré de solennité où aucune angoisse ne peut avoir accès. Et si tu veux, nous étendrons chaque année les dimensions de ce jardin”.

Rainer Maria Rilke.

Sept ans qui défilent en trois secondes…

rouchie.jpg Parfois il existe un abîme entre le lundi et le mardi. Mais sept ans peuvent défiler en trois secondes : le temps qu’il faut pour déplacer le coffre de l’entrée et trouver une lettre arrivée il y a sept ans, tombée derrière le meuble le jour même de son arrivée, couverte de poussière, jamais ouverte… et à laquelle on n’a donc évidemment pas répondu. L’expéditeur ne pouvait pas savoir que nos vies dépendent d’un détail aussi imprévu mais le cachet de la poste fait foi : le compte à rebours du destin y est tamponné de façon irréfutable ! Pardon à l’expéditeur.

J’aime les nuages qui passent…

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Ce soir, le ciel est beige. Je recopie pour Kim et Seda – qui sont aux Etats-Unis et qui me manquent – ce beau texte de Baudelaire.

“Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? Ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère ?
– Je n’ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
– Tes amis ?
– Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.
– Ta patrie ?
– J’ignore sous quelle latitude elle est située.
– La beauté ?
– Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
– L’or ?
– Je le hais comme vous haïssez Dieu.
– Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
– J’aime les nuages. Les nuages qui passent… là-bas…là-bas les merveilleux nuages !

L’Etranger, Le Spleen de Paris. Charles Baudelaire

Vous êtes ici ! (ah bon ?)

vous_etes_ici.jpg Quand on doit déménager, qu’on ne sait pas très bien où on va aller ni où on va bien pouvoir déposer toutes ses affaires, l’incertitude se fait pesante et on ne sait plus très bien où on est dans la vie… Mais sur les plans du Métro, ils ont le toupet de me dire : “vous êtes ici”. Mais qu’est-ce qu’ils en savent de l’endroit où je suis ? Moi-même je n’en sais rien du tout. Je ne sais absolument pas ni où je suis ni même où j’en suis. Je vais mettre des caisses un peu partout chez des amis, dans des greniers, des caves ou des gardes-meubles… Alors qu’ils me foutent la paix avec l’endroit où je suis et l’endroit où je serai dans trois mois. Qu’ils s’occupent de faire arriver le bus 82 à l’heure et ce sera déjà pas si mal.

PS. Ceux qui auront la gentillesse d’héberger (quelques unes de) mes caisses de livres et autres affaires seront les bienvenus…

Une joie qui m’attend dans l’éternité…

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.
Vendredi dernier, concert à Saint-Roch avec le Collegium vocale de Gent et Philippe Herrewegue. Trois Cantates de Bach (12, 38 et 146), magnifiques et bouleversantes évidemment :

BWV 12 :
Weinen, Klagen, / Sorgen, Zagen, / Angst und Not…
Pleurs, Lamentations / Tourments, Découragement/ Angoisse et détresse.

et la BWV 146 :
Aus Trübsal und grossem Leid / Sollst du fahren in die Freud / Die kein Ohre hat gehöret / Und in Ewigkeit auch währt.
A travers douleur et grande peine / Tu dois voyager pour atteindre une joie / Qui n’appartient à nul lieu / Et attend dans l’éternité.

PS. Comme d’habitude, la même réflexion :
• Le dimanche : églises vides, musique lamentable, prédications dérisoires…
• Le soir : concert de musique sacrée, église bondée de gens qui payent leur place, et une transmission de la spiritualité qui touche au coeur…

Dans un cas, des prètres sans enthousiame ; dans l’autre des musiciens laiques mais passionnés. Or je pense que, paradoxalement, ce sont ces derniers qui transmettent le mieux la foi véritable en chantant les cantates de Bach ou les messes de Byrd, de Josquin ou de Tallis … Comment la hiérarchie de l’Eglise ne se rend-elle pas compte qu’en chassant la musique religieuse qui avait fait l’honneur et la grandeur de la civilisation chrétienne des derniers siècles pour la remplacer par des chansonnettes dérisoires, elle s’est condamnée à vider les églises. Voilà quelque chose que n’avait pas prévu Vatican II : des fidèles qui désertent les églises le dimanche mais reviennent le soir en semaine, allant même jusqu’à payer leur place pour écouter des chanteurs laiques devenus prédicateurs (un comble !) leur transmettre une forme de foi et de spiritualité … Mysterium bullaque gommi ! Pathétique.

Heureusement je me suis construit ma petite Arche de Noé spirituelle et fabriqué mon “kit musical de survie” pour temps de crise : j’emporterai donc sur mon Arche mentale toutes les passions et cantates et oratorios du Kantor, mais aussi les messes de Josquin des Prés, de Roland de Lassus, celles d’Alonso Lobo, de Christobal de Morales et de Jacob Obrecht, celles de Thomas Tallis, de William Byrd et aussi celles de Ockeghem et Palestrina … (oui, oui, mon Arche numérique est assez grande et j’ai de la place pour tous !). Tant pis pour le Vatican : je le laisse à ses guitares désuètes et ses églises vides… Il est trop bête. Entre Jean-Sébastien et François, je n’hésite pas une seconde. Et je choisis celui qu’on a appelé le cinquième évangéliste !


PS. Je suis protestant mais je suis le Pape sur twitter @Pontifex et je pourrais lui dire qu’aucun de ses tweet ne remplacera la réintroduction des cantates de Bach. Mais ça non plus ils ne l’ont pas compris. Je suis aussi le @DalaiLama mais lui c’est une toute autre histoire :-)

Heureusement que ça existe
Structure et organisation le week-end, désordre et désorganisation le lundi matin

Merci l’arbre !

Arbre_1dec
. [post de 2003]
On est le 1er décembre et l’arbre de ma cour est encore absolument magnifique. Et je veux donc juste lui rendre un petit hommage. Il le mérite bien. Quand je me réveille, il est là, incroyablement lumineux et si je partais un peu plus tard le matin, je pourrais prendre une photo lorsqu’il est innondé de soleil. Mais déjà comme ça, dans le gris de la cour, il est vraiment somptueux (même si la photo ne rend pas bien ce que je vois quand je regarde par ma fenêtre). En fait, cet été, quand il était vert, il devait avoir les mêmes dimensions, mais depuis qu’il est jaune, il semble avoir gonflé : il prend carrément ses aises dans la cour. Merci l’arbre !


Quelques autres arbres…
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Appeler un chat un chat, et un cocktail par son nom !

molotof.jpg Tous les soirs je me couvre de boutons ! Il va donc falloir que j’arrête définitivement la lecture du Monde. Ce journal commence en effet à me taper sur les nerfs. La semaine dernière, je lis (et vous retape le texte car l’image ci-contre n’est pas très nette) qu’un homme a été arrêté devant une synagogue alors qu’il était “en possession d’une bouteille contenant un liquide inflammable, bouchée avec un morceau d’étoffe”…. Non, mais vous savez comment ça s’appelle cette chose dont ce monsieur était en possession devant la synagogque de Dunkerque ? Eh bien ça s’appelle un cocktail Molotof. Tout simplement ! Mais le journaliste du Monde ne veut pas le dire alors il écrit : une bouteille contenant un liquide inflammable, bouchée avec un morceau d’étoffe. Arrggghhhhhh !

Ne sachant plus si Molotof avait un ou deux “t”, je vais sur Google, tape “Cocktail molotof” et tombe aussitôt toutes les recettes de ces engins de mort. “Vous voulez assassiner des gens dans une église ? mais je vous en prie, monsieur, tenez, voici la recette”. “Si nous avons aussi la recette du bain de sang ? mais oui bien sûr monsieur, nous faisons aussi cet article, tenez, voici. Non, non, c’est gratuit. Bonne tuerie et à la semaine prochaine”. On vit vraiment une époque formidable !