L’Occident, l’Asie, la sagesse du Tao et la panthère des neige …

J’ai réécouté récemment une vieille conférence de Sylvain Tesson qui évoquait les enseignements du Tao sur le désir, le manque et la souffrance… Je trouve que c’est une très belle leçon et vous en donne la transcription ci-dessous.

“… Voir des panthères au Tibet m’a beaucoup intéressé parce que je me disais : si je ne vois pas la panthère, comment pourrais-je trouver une consolation ?

Or moi je suis le produit de l’Occident, c’est-à-dire de la raison occidentale (grosso modo d’une pensée, d’une culture, d’un rapport au monde, qui veut — non pas forcément la soumission du monde à sa volonté — mais qui veut en tout cas des résultats). C’est ça qui anime l’esprit occidental ou européen : une espèce d’obligation de résultat. On veut quelque chose, et on va se donner les moyens de faire en sorte de l’obtenir. Mais si ça ne marche pas, c’est à dire si on ne voit pas la panthère — et c’est pour cela que j’ai aimé me mettre à l’affût de cette panthère au Tibet — l’Asie procure un certain nombre de consolations.

Première consolation : si vous ne voyez pas la panthère, vous pouvez très bien vous dire que vous allez chercher une consolation de ne pas la voir dans le Tao. Le Tao, principe chinois de la circulation d’un principe vital et originel qui s’est ensuite diffracté dans les êtres ; mais le fait de les voir — ou de ne pas les voir — c’est la même chose ; le fait d’en voir un, c’est les voir tous ; le fait d’en voir un qui ne ressemble pas à celui que vous vouliez voir, c’est d’une certaine manière une parcelle de celui que vous vouliez voir dans celui que vous avez vu (puisque tout est dans tout et surtout réciproquement)… Donc le Tao vous offre une espèce de consolation par un système circulatoire. C’est l’éternel retour de la consolation. Vous n’avez pas vu la panthère, mais c’est pareil que si vous l’aviez vue puisque finalement le vide est le plein, le plein est le vide, et l’absence de la panthère est aussi présente que la présence de la panthère qui est une absence qui ne dit pas son nom puisqu’elle est là !

La deuxième consolation du Tao — qui est plus fine, qui est plus difficile, qui requiert un exercice (qui est devenu le yoga) — c’est l’exercice de Krishna avec son cocher Arjuna pendant la grande bataille du Mahabharata, dans le livre 6, celui de la Bhagavad Gita où Krishna dit à Arjuna : sois équanime ! Si jamais tu obtiens ce que tu veux, soit pareil que si tu n’obtiens pas ce que tu veux ! Tout ton malheur viens du trébuchement que crée le fait de ne pas avoir l’assouvissement de ton ton désir. Et c’est parce que tu cherches à avoir quelque chose que tu deviens malheureux, car si tu ne l’obtiens pas, tu vas être triste de ce manque. Il faut au contraire arriver à une équanimité. Ça c’est de la leçon de Krishna : si je n’avais pas vu panthère, j’aurais dû me trouver aussi content que si je l’avais vue !

Et puis il y a la troisième leçon du Tao qui couronne toutes les autres et qui est la plus belle parce qu’elle vitrifie tout, c’est la leçon bouddhique qui dit que c’est le désir qui crée la souffrance. La souffrance c’est le désir… Donc cessez de désirer, de vouloir voir des panthères, car c’est le début de vos problèmes !

Alors finalement voilà, l’Asie m’offrait toute une pharmacopée. Mais heureusement je n’ai pas eu à y puiser car premièrement j’ai vu la panthère, et deuxièmement rien de tout cela ne m’aurait consolé parce que j’aurais quand même voulu la voir ! parce que je ne suis pas un sage asiatique, les yeux fermés sous un arbre !” — Sylvain Tesson

Sylvain Tesson
Photo ©Bruno Charoy

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