L’Annonciation, la mystérieuse boutonnière de Marie et le nuage d’auréoles dorées derrière la colombe…

Fra Filippo Lippi est l’un des grands inventeurs de la Renaissance italienne à Florence dans les années 1440-1460… Une de ses Annonciations, conservée à la National Gallery de Londres, comporte un détail très étrange et difficile à interpréter… Je laisse Daniel Arasse le décrire :

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“Cette Annonciation était un “dessus de porte”, c’est à dire située au-dessus de la porte d’un palais. Si vous avez visité Florence, vous imaginez la hauteur des portes et donc la distance de l’oeil de l’observateur par rapport au tableau. Les détails sont à peine perceptibles…

Le tableau n’est pas très grand : il doit mesurer quelque chose comme 1,50 m de largeur, en format plutôt étendu avec le dessus cintré ; la Vierge est comme d’habitude à droite, l’ange à gauche et, entre les deux, une porte s’ouvre dans un mur avec un escalier qui tourne.

La colombe laisse derrière elle toute une série d’auréoles en mouvement qui, curieusement, rapetissent au fur et à mesure qu’elle s’approche de Marie. Ce qui est étonnant car, en perspective, c’est habituellement le contraire : ce qui est plus loin est généralement plus petit, et ce qui est plus près est plus grand…

Là, c’est exactement le contraire, ce qui veut dire que cette série d’auréoles indique le mouvement de la colombe, un peu comme un nuage de poussière déclenché par un cheval qui court est plus épais ou plus gros loin du cheval que près du cheval.

Ce nuage d’auréoles, qui grandit au fur et à mesure que s’en éloigne la colombe, est une magnifique idée de Filippo Lippi utilisée pour indiquer le mouvement. La colombe s’est arrêtée face à Marie et, du bec entrouvert, jaillissent des rayons d’or dont l’un va très précisément frapper le ventre de Marie qui a le regard baissé.

Dans les plis de la robe de Marie – lieu sacro-saint par excellence – il y a un trou, disons une boutonnière. Le peintre Filippo Lippi a peint une minuscule boutonnière à l’intérieur des plis de la robe de Marie et c’est par cette boutonnière que le rayon d’or vient frapper le ventre de Marie.

Je dois dire que ce n’est pas moi qui ai vu cette boutonnière. C’est un collègue américain – Samuel Y Edgerton junior – qui a publié un très bel article, très savant et passionnant où il montre que, dans le fond, cette boutonnière — et ce système de rayons d’or, avec un rayon venant frapper perpendiculairement le ventre Marie — correspond à une théorie de l’optique médiévale qui était une métaphore de la grâce divine qui frappe perpendiculairement la terre à Jérusalem et, au fur et à mesure qu’on s’éloigne de Jérusalem, la grâce divine diminue, parce qu’on éloigne du point d’impact direct et vertical de Dieu.

Je ne dirais pas que cet article très beau ait été pour moi très convaincant, car s’il avait été convaincant, on aurait eut d’autres exemples d’un tel rayon d’or venant frapper juste perpendiculairement la robe de Marie avec une boutonnière faite pour pour laisser passer ce rayon… Or non seulement il y a pas eut un seul autre exemple, mais le tableau de Filippo Lippi était placé au-dessus d’une porte, et donc personne ne pouvait voir ce détail ! On peut le voir aujourd’hui parce qu’il est à la National Gallery de Londres, mais à l’époque, au XVe siècle, il était hors de question que qui ce soit puisse voir cette boutonnière dissimulée dans les plis de la robe de Marie ! Avant de lire l’article d’Edgerton, j’avais personnellement fait une autre hypothèse qui n’a pas été remise en cause par son article : je pensais que cette boutonnière avait été peinte pour ne pas être vue. Ou — ce qui revient à peu près au même — qu’elle n’avait pas été peinte pour être vue. Elle est un secret du peintre dans son tableau, un élément intime de la peinture où le peintre peint sa relation intime avec ce qu’il est en train de représenter…”

Daniel Arasse, Histoires de peintures.

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Annonciations …
Détails en peinture…

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